Un groupe de députés élabore une proposition de modification de la Constitution qui annulerait la limitation des mandats...
L’alinéa 2 de l’article 6 de la Constitution pourrait bien se libeller ainsi qu’il suit : "Le président de la République est élu pour un mandat de cnq ans renouvelable". C’est l’une des propositions accouchées par un groupe de députés du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) qui, depuis quelques jours, se concertent pour faire, dans les prochains jours, une proposition de loi modifiant et complétant certaines dispositions de la constitution de janvier 1996. Le fin mot étant de supprimer la partie liée à la limitation du mandat présidentiel à deux fois, et permettre ainsi à Paul Biya de se présenter en 2011 pour une autre reconduction à la magistrature suprême.
Les députés ayant planché sur cette proposition de loi seraient au nombre de dix, représentant chacun l’une des dix provinces du pays et tous appartenant au Rassemblement démocratique du peuple camerounais. Dans leurs motivations, contenues dans un exposé des motifs circulant encore sous le boisseau, ils indiquent que "les députés, surtout ceux du parti au pouvoir, doivent être ceux-là même qui, après une analyse objective de la vie nationale et autour du président de la République, insufflent une critique constructive et assurent au pays une éventuelle transition réussie, traduisant la solidité de nos institutions et la maturité de notre édifice démocratique".
Selon eux, " si l’alternance doit rester possible dans toute démocratie, le fait de se priver de certaines compétences, juste à cause d’une limitation constitutionnelle qui peut être amendée, peut entraver une dynamique heureuse de développement, et priver les électeurs d’opérer un choix autour d’une candidature rassurante en raison de ses états de service." Ce émissaires un peu particulier, dont on sait pas où et quand ils se réunissent, et qui ne souhaitent pas toujours décliner leur identité, insistent pour rappeler qu’il existe "certains exemples frustrants, comme aux Etats-Unis où on en vient à regretter le départ de Bill Clinton", exemples qui montreraient alors "les limites de notre constitution actuelle”.
Quinquennat
La tête de file de ce groupe de dix serait l’honorable Ndinda Ndinda, député Rdpc de Bengbis (département du Dja et Lobo, province du Sud). Parmi les députés dont les noms reviennent souvent, il y a ceux de l’honorable Matta (député originaire de la province de l’est), de l’honorable Abel Njocke (député du Wouri dans la province du Littoral) et de l’honorable Gaston Mvindi Obama (député de la Haute Sanaga dans la province du Centre). L’honorable Abel Njocke que nous avons joint au téléphone hier n’a pas voulu s’exprimer sur le sujet, estimant que le sujet était trop sérieux pour être abordé aussi hâtivement.
En dehors de ce changement principal sur la non limitation des mandats pour l’élection présidentielle, le groupe des dix, qui a bien conscience que la proposition devrait enregistrer au moins 50 nouvelles adhésions de députés pour être jugée recevable par le bureau de la chambre, a également planché sur deux autres sujets. La gestion de la période de vacance de pouvoir et le statut du leader de l’opposition à l’Assemblée nationale.
Sur ce premier point, ils proposent l’alinéa 4 de l’article 6 la mouture qui suit : "En cas de vacance du poste de président de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le conseil constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau président doit impérativement avoir lieu 90 jours au moins et 180 jours au plus après l’ouverture de la vacance". Les références actuelles dans la constitution font état de 20 à 40 jours, délais que les dépuyés ont jugé insuffisants pour organiser une élection digne de ce nom, et qui peut être source de tensions et de suspicions diverses.
Enfin, au sujet du statut du leader de l’opposition, il s’agit en fait de la récupération pure et simple d’une proposition de loi préparée en son temps par des députés du Social democratic front (Sdf), calquée sur l’usage dans le régime parlementaire de Grande Bretagne ou présidentiel des Etats-Unis d’Amérique, où la plus grande personnalités du principal parti de l’opposition jouit d’un statut particulier codifié par la constitution, avec des avantages précis lui permettant d’être considéré, à temps plein, comme un corps constitué de la République.
Comme il se murmurait depuis quelques années (notamment l’élection présidentielle de 2004), comme quelques cadors du parti au pouvoir l’avaient déjà indiqué (Grégoire Owona et Françoise Fonning au cours d’un meeting à Douala), l’heure serait donc à la préparation de l’opinion à l’idée selon laquelle Paul Biya devrait se présenter à nouveau en 2011, au terme de son second (et dernier en principe) septennat à la tête de l’Etat. Pour faire comme la France et le Sénégal, on marquerait donc un retour à un quinquennat, avec la possibilité pour le président sortant de se présenter autant de fois qu’il le peut, dès lors qu’il peut convaincre les électeurs de lui donner leurs suffrages.
Info ou intox ?
Qui sont donc ces députés qui n’assument pas une initiative pourtant présentée comme pouvant permettre " d’assurer une éventuelle transition pacifique et réussie " ?
Qui se cache derrière ces gens pour poser des problèmes de portée aussi importante ? Peuvent-ils s’aventurer dans un sujet aussi sensible sans avoir reçu l’aval du principal concerné et heureux bénéficiaire de ces changements constitutionnels ? Les questions ne manquent pas depuis que le sujet a refait surface dans l’opinion.
Mais ce qui est étonnant, c’est que les premiers sons discordants viennent de l’Assemblée nationale elle-même et, plus grave, des propres rangs du Rdpc. Où certains estiment que c’est une tentative de récupération d’une vielle idée par un groupe marginal dont la plupart sont des députés sans base électorale, parachutés en 2002 comme par accident, et presque sûrs de ne pas être reconduit par les primaires annoncées. Et de prendre pour exemple la tête de file, l’honorable Ndinda Ndinda dont un de ses collègues estime qu’il a "pris par effraction à Bengbis la place de l’ancien président du groupe parlementaire Rdpc, Raymond Mengolo Avomo qui est presque sûr de retrouver son fauteuil. Il ne reste donc au député sortant que cette gesticulation qui lui permette de se faire remarquer, pour espérer être à nouveau repêché."
Un argumentaire qui serait identique aux autres membres du groupe, et qui arrache un sourire à Abel Njocke, député Rdpc du Wouri, également cité parmi les concepteurs de cette modification constitutionnelle annoncée : "Je ne suis pas un militant improvisé et je suis toujours amusé par ceux qui pensnt qu’on peut faire de la politique avec des discours. Je suis secrétaire d’une section du Rdpc et je maîtrise le terrain, où j’ai cotôyé depuis 1992 des députés d’alors comme Grégoire Owona. Nous verrons bien qui sera reconduit et qui sera laissé sur le carreau."
Autre type de réaction depuis que le sujet fait des gorges chaudes : le groupe des dix est accusé d’être une invention imaginée par saborder une action menée depuis quelques temps par ceux qu’on appelle désormais le " G11 ", entenez un groupe de hauts fonctionnaires qui réfléchirait au Cameroun d’après 2011, considéré comme un espace que l’actuel président aura déjà abandonné du fait de son impossibilité à se présenter à nouveau à une élection présidentielle.
Or, soutiennent-ils, en modifiant la constitution, le "G11" n’a plus sa raison d’être, puiqu’il perd l’objet principal de ses concertations.
Dans un cas comme dans l’autre, on s’étonnera que des gens perdent autant de temps et d’énergie à vouloir codifier une incongruité anachronique juste pour faire plaisir à un individu que l’âge appelle chaque jour un peu plus au repos. Et dont le bilan, en 25 ans de règne, ne laisse à aucun moment penser qu’il fera dans les prochaines années, toujours coupé de son peuple, ce qu’il n’a pas pu faire en un quart de siècle.
Albert Biombi