"Révolution" au Cameroun: Une semaine folle !

Par Suzanne Kala Lobé | La Nouvelle Expression
- 28-Feb-2011 - 08h30   54269                      
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Les mouvements populaires ont chassé ben Ali, Moubarak. La pression est forte sur Kadhafi le libyen. Il n’en faut pas plus pour qu’au Cameroun, des entrepreneurs politiques tentent de passer par les mêmes moyens pour “ moufdé“ Biya ... Mal leur en a pris.
Les mouvements populaires ont chassé ben Ali, Moubarak. La pression est forte sur Kadhafi le libyen. Il n’en faut pas plus pour qu’au Cameroun, des entrepreneurs politiques tentent de passer par les mêmes moyens pour “ moufdé“ Biya ... Mal leur en a pris. Parce qu’ils marchèrent finalement seuls... Avec ou sans t-shirts rouge... rouge comme pour évoquer le sang des patriotes ou des martyrs en jouant sur deux registres: celui chrétien de la symbolique du sang versé par Jésus-Christ, sur le Mont des Oliviers, comme une semence du christianisme. Et celui versé par Ernest Ouandié, le 15 janvier 1971, assassiné pour avoir voulu sauver son peuple. Une semence du patriotisme. Les symboles valsent allègrement au début de cette semaine folle et les entrepreneurs camerounais n’ont pas hésité à mélanger les genres. Est-ce cette confusion qui explique l’échec de leur action ? Mal leur en pris. Mais qui est Ernest Ouandié aujourd’hui ? Le champ politique est pavé de bonnes intentions, mais miné par les luttes de clans et guerres fratricides. Par l’orgueil et les ambitions individuelles. Et quand le cadre référentiel est aussi diffus que dilué cela donne cette semaine folle. Où tout se joua dans les médias ! La bataille fit rage: tracts contre communiqués. Facebook, contre réunions. Les acteurs des deux côtés de la barrière ont multiplié les outils de propagande pour convaincre, qu’il fallait descendre pacifiquement dans la rue pour les uns. Qu’il ne fallait plus laisser la rue déraper comme en 2008, pour les autres. Alors que les uns espéraient avec ferveur un mouvement de foule hurlant comme en Egypte, ce fut quelques militants animés sans doute par leur passion et armé seulement de leur bonne volonté qui battront des pieds sur un macadam, enfoncé çà et là, avec des ornières et des trous gros comme des cratères. Bref une rue accidentée ! Ils ne furent donc même pas une centaine ... Les autres vont déployer un arsenal, digne des plus grandes révolutions. Là où il n’y eut qu’un ballon de baudruche gonflé d’air et de rêves, un montgolfière flottante emportant passé et présent d’une lutte dont les formes ne parviennent pas à prendre racine. Pleine d’air, de mots et de déclarations d’intention ! La rue n’a pas suivi. Le peuple est resté à observer et à compter les points. Mais les chefs de file de la politique dans la rue n’en avaient cure. Ils se regardaient marcher. Se contentant de crier, de huer, s’époumonant sur ce nouveau dégage sous les tropiques: «Biya moufdé !» Ils exultaient ! Leur bilan sera simple: les camerounaise sont des peureux. Traumatisés par la peur ils se terrent chez eux, indifférents à leur propre sort. Cette apathie ou encore cette anomie du peuple, aurait dû interpeller tous les acteurs qui parlent en son nom. toute cet avant-garde qui s’éloigne un peu plus de ses propres objectifs , transformant la lutte en un simple bras de fer , un combat entre David et Goliath, pot de fer contre pot de ter.. La symbolique ne manque pas de ressources. Tandis que de son côté le pouvoir lui, reprend son souffle. Avec le surarmement de la sécurité présidentielle, on peut s’interroger sur les protagonistes de la bataille du Mercredi 23 février. Les acteurs qui le terrain ne seraient-ils pas pris en otage entre les clans qui se disputent la succession à Paul Biya ? Parce que comment expliquer la légèreté avec laquelle, les manifestants du 23 février abordèrent la rue alors qu’ils étaient conscients de son apathie ? Comment expliquer ce côté ridicule, voire grotesque de la résistance et cette absence totale d’organisation ? Comment comprendre que des futurs dirigeants qui veulent changer le pays, déchirent à coups de maladresses leur image en se contentant de cultiver l’idée du martyr sacrifié sans avoir accompli leur propre chemin de croix ou leur Golgotha ? Les événements de cette semaine folle doivent être analysés sous le prisme du champ politique traversé par les luttes de concurrences où chacun déploie les moyens qu’il veut en se servant du peuple, comme une masse de manœuvre. Comme si la logique de la lutte politique a échappé au fond aux partis et est devenue otage de règlement de comptes. Car il n’y a eu aucun travail souterrain, au corps à corps, avec les organisations de la société civile camerounaise, de celle des droits de l’homme, des femmes etc. Toute cette partie de la population camerounaise, qui dit non au quotidien et travaille pour un nouveau Cameroun. Parce qu’alors la mobilisation de 23 février 2011 aurait ete autre. Il y a tant de raisons pour avoir raison de chasser Paul Biya du pouvoir. De plus cette année 2011, hébergera une élection présidentielle de tous les enjeux ! La première sortie des candidats au fauteuil présidentiel, aurait dû être remarquable. L’ont-ils seulement mesuré ? Préparé ? Cette année est une année où doivent se construire des symboles. Ou des images fortes des adversaires de Paul Biya doivent s’inscrire de manière subliminale dans l’esprit du peuple. Pour qu’ils représentent véritablement l’alternative dont le peuple a besoin. Or les actes posés par les entrepreneurs de cette semaine folle, semblent tourner le dos à cet enejeu de changement et s’attachent à ne rester que dans le prolongement du syndrome de la rue dans les pays arabes. Comme s’il fallait à tout prix une immolation par le feu pour déclencher la bagarre et récolter un mort parmi ces héros-martyrs en argile. Quoiqu’il en soit ce fut une semaine folle où à nouveau les paradigmes se bousculèrent, les lignes se brouillèrent rendant encore plus floue la capacité de l’opposition à en finir avec Paul Biya. Lui bien calé dans son fauteuil a envoyé dans la ville rebelle et paisible de la côte une escouade d’agents qui ne sont guère fréquentables en démocratie. Loin d’être à une contradiction près, le pouvoir a déployé inutilement une artillerie qui n’avait rien à voir avec le mouvement d’humeur de quelques candidats en déshérence. La stratégie révolutionnaire ne serait-elle réduite qu’à ça ? Des manifestations squelettiques. Des commémorations faméliques. Des sexagénaires détalant dans la rue comme des lièvres des contes d’Ahmadou Koumba. Est-ce cela le sens du combat ? Cette semaine folle fit éclater les ordres et les représentations de la politique. Mais elle a rendu compte d’une chose: du désespoir de l’opposition. Exsangue, elle titube sur les moyens d’arriver à mettre à genou un régime dont elle n’a pas exploité les faiblesses structurelles. Exsangue, elle a laissé la place aux héros isolés et martyrs au lieu de cultiver la force du collectif. On parle de Kah Wallah, d’Anicet Ekane, Mboua Massock, Jean-Michel Nintcheu etc... Mais pas de leurs organisations. Alors qu’autrefois, au plus fort de la plus fort des mobilisations on parla de l’Upc ou encore du Sdf. Ils occupent la scène seuls. Avec leur affidés. Vont dans la rue seuls. Pour affronter peut-être le vent. À contre-courant. Sans chercher à savoir si le peuple suit. Alors il est resté à suivre sa vie. A se chercher ce mercredi 23 février. Et laissé la rue à ceux qui la parcourent une fois de temps en temps. Ce fut une semaine folle. Mais tout le monde n’était pas à pied, ne fit pas de marche !




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