Samuel Eto’o: Je me fiche que Henry vienne au Barça !

Par | Mutations
- 04-Nov-2005 - 08h30   75521                      
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D’un ton aussi haut que l’insolence de son talent, l’attaquant camerounais répond à des questions mesquines, destinées à le poser en rival annoncé de l’actuel goaleador d’Arsenal.
Chelsea aurait proposé 60 millions d’euros – près de 40 milliards des Cfa ! – pour vous engager en début de cette saison. Pourquoi avoir refusé? Parce que je me sens encore bien dans ce club. Je connais bien le championnat espagnol. C’est ici que je me suis construit. Au-delà des millions à gagner, à Chelsea, il m’aurait fallu découvrir une autre culture, obliger ma famille à s’adapter à une nouvelle vie… C’était compliqué. D’autant plus que, avec José Mourinho – l’entraîneur de Chelsea, Ndlr – ce n’est pas le grand amour… Mourinho a une façon de s’exprimer qui n’est pas forcément agréable. Je le lui ai dit en face, dans le tunnel du match retour à Chelsea l’an passé en Champion’s League. J’aurais agi de même avec Frank Rijkaard s’il s’était comporté comme Mourinho l’a fait. Mais Mourinho peut très bien devenir un jour mon entraîneur. Comment le président Juan Laporta vous a-t-il convaincu de rester ? En dix ou quinze minutes au téléphone, alors que je préparais un match avec le Cameroun. On est vite tombés d’accord, on a estimé que ce n’était pas le moment de quitter le Barça, pour le club comme pour moi. Thierry Henry est annoncé au FC Barcelone l’an prochain. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Je me fiche que Thierry Henry vienne au Barça. Ou que Maradona y signe un come-back. S’il vient, tant mieux pour lui. Moi, je suis ici pour jouer. S’il veut s’aligner en attaque avec moi, si le coach pense qu’il peut le faire, c’est son problème. Pour moi, cela ne change rien. Je suis ici pour jouer et tant que je serai là, je jouerai. Mais son arrivée pourrait accélérer votre départ pour un autre club ? Pourquoi ? Vous croyez que Thierry henry va me faire partir ? Henry pourrait venir ici et se retrouver sur le banc des remplaçants. On peut voir les choses comme ça aussi… Certains le trouvent meilleur que moi, d’autres penseront l’inverse. Mais, pour moi, c’est clair, tant que je resterai ici, je jouerai. Les renforts ont emmené Frank Rijkaard à procéder à des rotations. Mais vous, vous êtes toujours titulaire. Pourquoi ? Vous trouveriez normal, vous, que je reste sur le banc des remplaçants ? On ne peut pas tous jouer, c’est clair. Mais est-ce que je dois cesser de le faire parce que les autres doivent gagner leur place en sélection ? Moi, je dis non. J’ai 24 ans, l’âge idéal pour jouer au football. Le temps où je ne jouerai plus que dix minutes par rencontre viendra plus tard. Mais, même Ronaldinho est concerné par ce turn-over, pourquoi pas vous ? Pourquoi pas ? Ronaldinho, c’est Ronaldinho. Et Eto’o, c’est Eto’o ! On ne joue pas au même poste. Et les gens qui aiment le foot ne sont pas fous. Les rotations, ce n’est pas mon problème. C’est celui du coach. Et il n’est pas fou, lui non plus. A titre individuel, vous êtes cinq joueurs au Barça nominés pour le Ballon d’or. Est-ce un objectif pour vous ? Je ne pense pas être choisi, malgré mes buts de l’an passé et mes neuf buts inscrits en dix matchs cette saison. Vous verrez que, comme toujours, il sera attribué à un joueur qui joue ou a joué dans le championnat français. Vous dites cela parce que Ronaldinho est le grand favori? Cela peut être lui, oui. C’est un excellent joueur. Mais, personnellement, je trouve plus juste le trophée de meilleur jouer de la Fifa de l’année, octroyé à un jouer par d’autres joueurs. Vous parlez de collectif. Mais, parfois, vous n’êtes pas un peu trop personnel ? Mon job, dans un stade, c’est de marquer des buts. Celui des autres est de passer la balle. D’ailleurs, Giuly peut me remercier. Plus de la moitié de ses buts ici, il les a marqués sur une balle de Samuel Eto’o. Giuly vous reproche-t-il parfois de ne pas lui passer le ballon ? Au contraire ! C’est moi qui lui dis : "Mon frère si tu me faisais plus de passes, je serais bien content". Ludo, il n’arrête pas. Il court, il court… Parfois, je l’attends au premier poteau et il centre au second. Mais c’est le foot, c’est comme ça. Alors, je m’adapte. A propos de la Coupe du monde, pourquoi n’avez-vous pas tiré le penalty contre l’Égypte ? On ne pouvait pas le tirer tous, les onze. Était-ce ma mission en tant qu’attaquant ? Certains l’ont dit, affirmant que ma notoriété m’y obligeait. Mais cela ne veut rien dire. Un penalty, c’est un tireur, face à un gardien. Pierre (Wome) se sentait bien. Les capitaines présents, nous avons décidé que c’était à lui de tirer. Il frappe le poteau, mais cela aurait pu arriver à un autre ou à moi-même. Si c’était à refaire, nous reprendrions la même décision. Ce penalty est pourtant à l’origine d’un accrochage verbal entre Wome et vous, qui vous a traité de menteur, non? Pierre est plus qu’un ami d’enfance. C’est un cousin. Il s’est fait piéger par un journal espagnol qui ne m’apprécie pas trop. Il est tombé dans le piège, je ne lui en veux pas. Cela peut arriver à tout le monde. Quel souvenir gardez-vous de ce match ? L’avez-vous digéré? Jamais, je n’avais pleuré pour un match de football. Yannick Noah, les autres personnalités présentes, les joueurs, tout un peuple… Nous étions tous effondrés. Un moment très fort, que je n’oublierai jamais. Mais, aujourd’hui, c’est du passé. Mes principaux objectifs sont liés à mon club. Et à la Coupe d’Afrique des Nations, si j’y vais [Le Barça veut conserver Eto’o pendant la Can, du 20 janvier au 10 février]. Vous dites que l’argent est secondaire pour vous. Mais vos passions coûtent cher. Combien possédez-vous de montres et de voitures ? Il faudrait les compter. Mais, disons – il réfléchit – une dizaine de voitures et plus de cent montres. Quelle image voulez-vous laisser au Cameroun et ailleurs ? Aujourd’hui, au Cameroun, certains m’adorent. D’autres trouvent que j’en fais trop. Lutter contre les malhonnêtes, cela provoque énormément de réactions. Même Roger Milla, qui est un dieu vivant, n’est pas épargné. Alors, moi, vous pensez ! Mon but est de laisser l’image de quelqu’un qui a marqué son époque. Pas simplement celle d’un bon joueur. Entretien réalisé par Frédéric Traïni(et publié dans le quotidien L’Équipe, le 02 novembre 2005.)




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