Succession de Paul Biya: Vers la réinstauration d'une vice-présidence de la République

Par MICHEL MICHAUT MOUSSALA | Aurore Plus
- 27-Aug-2010 - 08h30   58961                      
28
Une session extraordinaire de l'Assemblée nationale pourrait se tenir dans les prochains jours à l’effet de réintroduire ce poste qui existait déjà dans la constitution de type fédéral du 1er septembre 1961 et qui avait été supprimée dans celle, unitaire, du 2 juin 1972. La question centrale est de savoir la région qui occupera ce poste et les pouvoirs de son détenteur ?

Michel Michaut Moussala
Photo: © CIN Archives
De sources dignes de foi, le Cameroun va vivre dans les jours à venir une révision de l'actuelle constitution, incomplète, qui date de 1996 avec la réinstauration du poste de vice-président de la République. Pour bien comprendre ce qui va se passer et qui a tout l'air d'un séisme politique majeur, il faut remonter aux années 1960. Le 1er janvier 1960, Ahmadou Ahidjo, Premier ministre et chef du gouvernement proclame l'indépendance du Cameroun sous tutelle française. Il soumet aussitôt «un projet de constitution à une commission ad hoc de 42 membres désignés pour une moitié par le gouvernement au sein de l'Assemblée législative et pour l'autre parmi les chefs des partis politiques, les syndicalistes, les chefs religieux et les notabilités traditionnelles». Le 21 février 1960, un référendum constitutionnel se déroule sur l'ensemble du territoire de l'ancien Cameroun sous tutelle française devenue désormais indépendante. Sur les 1.771.969 électeurs inscrits, 1.338.178 iront voter soit un taux de 75%. Le Nord, qui comprenait alors les trois régions actuelles de l'Adamaoua, de l'Extrême Nord et du Nord vote massivement pour cette constitution alors que le Sud la rejette, à l'exception du département du Ntem qui s'aligne derrière le Nord. Cette constitution adoptée le 21 février 1960, est promulguée quelques jours plus tard, le 4 mars. Le président de la République dans cette constitution n'est pas élu au suffrage universel direct mais par un collège électoral comprenant les membres de l'Assemblée nationale, les membres des conseils généraux des provinces, les délégués des assemblées municipales. Entre autres pouvoirs, il nommait et révoquait le Premier ministre et les autres membres du gouvernement et mettait fin à leurs fonctions. Ahmadou Ahidjo veut aller vite en organisant des élections générales le 10 avril 1960, mais il y a de l'électricité dans l'air, l'Upc (l'Union des populations du Cameroun) a été interdite par les Français. Afin de détendre l'atmosphère, Ahidjo signe le 25 février 1960, le décret abolissant le décret français du 13 juillet 1955 frappant d'interdiction le parti nationaliste, rétablissant ainsi que ses organes annexes (des jeunes et des femmes) dans ses droits. Sur les 1.940.438 inscrits, 1.349.739 iront voter soit un taux de 70%. Le Nord du Cameroun et le département bamoun obtiennent 44 sièges pour le groupe de l'Union camerounaise (Uc) d'Ahmadou Ahidjo. Avec les voix venant du Sud-Est du pays (7) et d'un indépendant, l'Uc atteint un capital de 52 députés dans une assemblée nationale qui en a 99. Le groupe du Front populaire en a 18, les démocrates camerounais, 11, le groupe de l'Upc en a 8, tandis que les progressistes du Cameroun en rassemblent également 8 et le groupe des non-inscrits, 2. Grâce à ses alliés que sont le Front populaire pour l'unité et la paix et les progressistes, Ahmadou Ahidjo se retrouve avec une majorité confortable à l'Assemblée nationale de 78 députés tandis que les partis de l'opposition n'en rassemblent que 21. Le 5 mai 1960, il réunit sur son nom 89 députés sur 99 et devient ainsi le premier président de la République du Cameroun. Il prêtera serment deux jours plus tard, le 9 mai devant les députés. Ce rappel était nécessaire pour comprendre ce qui va suivre. Ici, Ahmadou Ahidjo fonctionne dans un cadre purement francophone et il a un Premier ministre boulou en la personne de Charles Assalé mais les choses vont changer avec la réunification survenue le 1er octobre 1961 avec l'ancien Cameroun sous tutelle britannique que sont aujourd'hui les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Cette réunification est le résultat, le fruit d'intenses et longues négociations avec le Dr. John Ngu Foncha, le leader du Kamerun National Democratic Party (Kndp), et Ahmadou Ahidjo. Un mois avant la réunification du 1er octobre 1961, il a fallu mettre les choses au clair, c'est-à-dire mettre en place une constitution tenant compte des intérêts des deux parties: le Cameroun oriental francophone et le Cameroun occidental anglophone. Ou si l'on veut une République fédérale formée de deux Etats: l'Etat fédéré du Cameroun oriental (La République du Cameroun) et l'Etat fédéré du Cameroun Occidental (Le Cameroun méridional sous tutelle britannique). La base de travail est la constitution du Cameroun (oriental) du 4 mars 1960 qui sera amendée et adoptée par l'Assemblée nationale de la République du Cameroun lors d'une session extraordinaire tenue du 10 au 14 août 1961 à Yaoundé. Pour que cette constitution soit valide, elle sera approuvée par la chambre des élus du Cameroun méridional sous tutelle britannique. Le résultat: c'est le texte promulgué le 1er septembre 1961 comme constitution de la République fédérale du Cameroun. Cette date est très importante: la constitution de la République fédérale du Cameroun est née avant la Réunification entre les Cameroun francophone et anglophone survenue un mois plus tard, le 1er octobre 1961. Le partage du pouvoir Que dit cette constitution fédérale ? De prime abord, on constate que le poste de Premier ministre a disparu: «le pouvoir exécutif était exercé par le président de la République fédérale, chef de l'Etat fédéral, assisté d'un vice-président qui ne pouvait être originaire du même Etat fédéré que lui. Le président de la République fédérale et vice-président étaient élus pour cinq ans sur une même liste au suffrage universel direct et secret. Ils étaient rééligibles. Le président de la République nommait et révoquait les ministres et ministres adjoints...» Quand le premier gouvernement de la République est formé le 20 octobre 1961, il comprend 1 ministre d'Etat francophone, 7 ministres francophones, 1 ministre anglophone, 1 ministre adjoint francophone et 2 ministres adjoint anglophones. Au sommet de l'exécutif trônent Ahmadou Ahidjo comme président de la République et l'ancien Premier ministre du Cameroun méridional sous tutelle britannique, John Ngu Foncha, comme vice-président de la République fédérale. Pour éviter toute confusion, il convient de signaler que c'est le régime présidentiel qui prévalait au niveau de l'Etat fédéral tandis que c'est le régime parlementaire qui était en vigueur dans les deux Etats fédérés du Cameroun oriental et du Cameroun occidental. Au Cameroun oriental, il y avait un gouvernement à la tête duquel un Premier ministre et des secrétaires d'Etat qui formaient le conseil de cabinet. Le Conseil de cabinet est encore en vigueur sous Paul Biya. Le gouvernement du Cameroun occidental fonctionnait sur la même base, son Premier ministre était nommé par le président de la République fédérale, il avait sous lui 7 à 11 secrétaires d'Etat qui pouvaient porter le nom de ministres. Ce Premier ministre était chef du gouvernement et les secrétaires d'Etat formaient le «Conseil exécutif». Ahmadou Ahidjo ne se sent pas à l'aise dans le fédéralisme ni dans le multipartisme. Par divers subterfuges et par la force, la contrainte voilée sous le terme de négociations, il va réussir à casser tous les autres partis politiques, tant anglophones que francophones. Et le 1er septembre 1966 voit la naissance du parti unique tant rêvé qu'est l'union nationale camerounaise. Ahidjo ne va pas s'arrêter là. Le rêve qu'il caresse depuis longtemps est de supprimer l'Etat fédéral du Cameroun. Et il va réussir son coup lors du référendum constitutionnel du 20 mai 1972. Promulguée le 2 juin 1972, cette constitution désavouée par John Ngu Foncha qui se sent trahi et par une grande majorité de Camerounais anglophones institue un Etat unitaire à caractère biculturel. Inutile de dire ici que cette constitution instaure comme un régime présidentiel fort comme celle de la constitution du 1er septembre 1961, tout comme celle du 5 mars 1960, même si pour les laudateurs d'Ahidjo de l'époque qui qualifiaient cette dernière dé semi-présidentiel pour la comparer à celle française du 4 octobre 1958. Cette constitution du 2 juin 1972 fait du président de la République le centre de toute décision politique, le gouvernement étant relégué à un rôle de figurant, d'exécution. En 1975 et en 1979 ?? introduit des réformes qui sans modifier la nature constitutionnelle du régime, donnent quelques pouvoirs, renforcent la position constitutionnelle du Premier ministre qui devient son successeur constitutionnelle. C'est ainsi que Paul Biya qui est Premier ministre depuis 1975 devient le successeur constitutionnel d'Ahmadou Ahidjo. Et on connaît la suite... Entre temps, compte tenu de ce qui s'est passé après le départ d'Ahidjo du pouvoir, Paul Biya a fait disparaître toute référence à une succession constitutionnelle dans la loi fondamentale. Le poste de vice-président de la République n'existe plus depuis 1972 soit depuis 38... Ans ! Pourquoi Biya veut-il le restaurer aujourd'hui ? C'est là la grande question à laquelle il faut tenter de répondre. Une transition pacifique Le contexte a changé, il n'y a plus de fédéralisme au Cameroun. Paul Biya voit des gros nuages pointer à l'horizon et s'il ne fait pas attention, une guerre civile peut éclater dans le pays au sujet de sa succession, même s'il n'est pas encore prêt à quitter le pouvoir. Ce désordre ne viendra pas des rangs de l'opposition qui est faible en ce moment pour pouvoir inquiéter sérieusement le régime en place. Le désordre viendra au sein même du Rdpc, de la lutte pour la succession de Paul Biya que se livrent les différents clans qui constituent le parti au pouvoir. La bataille est si forte que le chef de l'Etat a esquissé plusieurs scenarii pour se tirer d'affaire, maintenir la cohésion du parti et assurer sa propre survie. Paul Biya qui veut donc mettre un terme à la lutte de succession que se livrent ses enfants a donc pensé que créer le poste de vice-président de la République serait la solution idoine. Nous ne le pensons pas sérieusement. Car quels seront les pouvoirs de ce vice-président ? Sera-t-il un adjoint chargé d'inaugurer les chrysanthèmes ou aura-t-il un rôle important à jouer dans l'exécutif, que fera-t-on du poste de Premier ministre ? Mais le plus important n'est pas la création du poste —le Rdpc étant majoritaire à l'Assemblée nationale, la réforme constitutionnelle passera comme lettre à la poste si son chef le demande à ses députés— mais l'origine régionale de la personne qui occupera le poste car si le Grand Nord veut revenir aux premières loges, les Anglophones disent que leur temps est arrivé. Il est sûr et certain que si cette réforme constitutionnelle a lieu, le vice-président ne sera pas le successeur constitutionnel de l'actuel chef de l'Etat Paul Biya qui, lui, avait bénéficié de circonstances exceptionnelles pour être le successeur de Ahmadou Ahidjo. Car si Biya fait du vice-président son successeur constitutionnel, ce successeur sera un homme mort, car les tirs croisés viendront de toute part pour le terrasser. Il deviendra un ennemi, une cible pour tous les pouvoiristes qui sont si nombreux au sein de la formation au pouvoir. Paul Biya est très malin, ce qu'il est en train de vouloir faire va lui permettre de souffler, de faire baisser l'énorme pression qui pèse sur lui. Il va faire adopter un système à la nigériane ou l'américaine où en cas d'empêchement de l'exercice du pouvoir par un président pour une raison quelconque, le vice-président assure l'intérim jusqu'à l'organisation de la prochaine élection présidentielle. On l'a vu dans le pays voisin où le vice-président Jonathan Ebele Goodluck a remplacé au pied levé le défunt président Musa Umaru Yar'Adua. Si les choses se passent ainsi, cela veut dire que le président de l'Assemblée nationale Cavayé Yéguié Djibril ne pourra pas assurer l'intérim au cas où Paul Biya est hors-jeu. En agissant de la sorte, le chef de l'Etat tient-il enfin compte des critiques et même des conseils venant de partout et qui disaient qu'il était mal entouré ? Cavayé Yéguié Djibril à l'Assemblée nationale, Amadou Ali, vice-Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des sceaux, dont le département est chargé de proclamer les résultats et Marafa Hamidou Yaya, ministre d'Etat chargé de l'Administration territoriale et de la Décentralisation qui joue un rôle non négligeable, même si Elecam a pris les choses en main. Voilà trois personnalités importantes toutes originaires du Grand Nord et qui sont très proches, si près du... pouvoir. Que va devenir le Premier ministre ? A l'heure actuelle l'exécutif a deux têtes, est bicéphale, même si le Premier ministre qui revêt le titre de chef du gouvernement n'a aucun pouvoir réel, l'essentiel du pouvoir étant concentré entre les mains de Paul Biya. Le pouvoir pourrait donc devenir tricéphale avec l'introduction du poste de vice-président de la République si celui de Premier ministre est maintenu. A moins qu'en réinstaurant ce poste, on supprime carrément celui de Premier ministre. Ça pourrait être un casse-tête pour le protocole, qui du vice-président ou du Premier ministre passera avant l'autre lors des cérémonies. Qui comme vice-président ? Cela dépend de ce que Paul Biya veut. Il est en train de préparer sa sortie en douce. Il va gagner aisément l'élection présidentielle de 2011 mais n'achèvera pas son mandat, son septennat... peut être. Or il ne veut pas pour éviter des troubles au pays d'un successeur du Grand Nord même si c'est un Kirdi chrétien. Il pourrait donc être tenté de mettre l'actuel Premier ministre Philémon Yang au poste de vice-président et démissionner à mi-mandat et laisser la place à un homme qu'il apprécie beaucoup et avec qui il entretient une longue amitié. Dans ce scénario, il pourrait supprimer le poste de premier ministre ou même le garder en diminuant certaines de ses prérogatives. Cette analyse est partagée par certains de nos compatriotes que nous avons rencontrés qui disent que Biya va négocier d'une manière très intelligente, sans faire de vagues, sa sortie. Ces compatriotes disent qu'il faut regarder de très près qui il va placer comme vice-président mais que dans tous les cas cela ne pourrait pas être un originaire du Grand Nord. Les Anglophones disent que leur temps est enfin arrivé, eux qui attendent depuis 1961 pour goûter aux délices du pouvoir suprême. Ce ne serait pas un mauvais choix de notre avis si Paul Biya place comme vice-président un compatriote anglophone, qu'il soit du Nord-Ouest ou du Sud, ce ne serait que justice. L'architecture actuelle laissée par Ahmadou Ahidjo dans laquelle un Anglophone ne peut être que Premier ministre ou président de l'Assemblée nationale est frustrante pour eux. Ahmadou Ahidjo a fait 24 ans au pouvoir de 1958 à 1982, il était du Grand Nord. Paul Biya a pris la relève depuis 1982, soit 28 ans... Il aspire même à continuer. Il est du Grand Sud. Il est bon qu'un Camerounais d'expression anglaise prenne le témoin.




Dans la même Rubrique