Téléphonie mobile: Les dessous de l'attribution de la troisième licence

Par Omer Mbadi Otabela | Repères
Yaoundé - 26-Jan-2013 - 08h30   51181                      
4
Selon le rapport du comité interministériel, le groupe vietnamien Viettel s'en est sorti mieux que ses concurrents. Et la désignation du Mass Telecom résulte des «instructions» d'Etoudi.
Le 14 décembre 2012, le groupe vietnamien Viettel et le gouvernement camerounais signaient la convention de concession de la troisième licence de téléphonie mobile au Cameroun. La cérémonie venait clore un processus entamé en le 27 mai 2011, avec la mise en place du Comité de pilotage chargé, entre autres, du projet d'ouverture du marché de la téléphonie mobile, de la délivrance des concessions d'établissement des réseaux 3G et d'octroi des titres d'exploitation des points d'atterrissement des câbles sous-marins à fibres optiques au Cameroun. En dépit de la polémique suscitée, Repères revient sur deux faits saillants du processus. I- VIETTEL MIEUX QUE SES CONCURRENTS Le 10 décembre 2012, M. Ferdinand Ngoh Ngoh, Secrétaire Général de la présidence de la République, notifie à M. Jean-Pierre Biyiti bi Essam, Ministre des Postes et Télécommunications (Minpostel), l'accord du chef de l'Etat pour mener des négociations avec l'opérateur asiatique en vue de la signature de la convention de concession. Le même jour, le Minpostel rend la nouvelle publique par voie de communiqué de presse. Il profite également de la session plénière d'adoption de la loi de finances 2013 et de la tribune à lui offerte à l'hémicycle de Nkoa-Ekelle pour l'annoncer solennellement à la représentation nationale. Les derniers détails sont réglés pendant deux jours, avec le concours de la Commission technique de privatisation et de liquidation notamment. Ils portent, entre autres, sur les avantages fiscaux dont bénéficiera la filiale camerounaise de Viettel pour le démarrage de ses activités. L'accord d'Etoudi se fonde notamment sur une note de la division des affaires économiques du secrétariat général de la présidence. Ce service a passé au peigne fin le rapport de la commission des analyses et d'évaluation des offres au sein du Comité interministériel de pilotage de, l'ouverture du marché de la téléphonie mobile. Selon la conclusion de ce document dont Repères a pris connaissance, l'offre de Viettel obtient la note de 492 points sur les 500 possibles. Le groupe vietnamien est suivi par l'indien Bharti Airtel (367,5) et Maroc Telecom (331). La commission attribue la plus forte note à Viettel sur treize des quatorze critères de sélection retenus. Mieux, il obtient la meilleure notation (100/100) sur deux principaux points d'évaluation: «cohérence et crédibilité du projet» et «ampleur et rapidité de déploiement du réseau». En revanche, son offre fait moins bien que Bharti Airtel en matière de préservation de l'environnement. «Il ressort que l'entreprise vietnamienne avait l'offre la plus complète et cohérente, en mesure d'avoir un impact significatif dans le secteur des télécommunications au Cameroun en 24 mois seulement après l'obtention de la concession», analyse une source proche du processus. Dans le détail, le groupe sud-est asiatique de télécommunications s'engage à commercialiser ses services dans les 12 premiers mois et compte couvrir 81% du territoire en 2G (deuxième génération, technologie actuellement exploitée par les opérateurs existants) et 32% en 3G (MTN et Orange seront autorisés à s'en servir qu'une année après le lancement des activités du nouvel entrant). Son concurrent le plus sérieux restait dans des proportions de 55 et 20%. Mieux, la couverture réseau sur le plan national grimpera à 92% en 24 mois (voir tableau ci-dessous), avec un taux de pénétration d'Internet d'au moins 50% en 15 ans, alors que ses concurrents se situent en dessous de 20% sur la même période. Pour y parvenir, 1337 antennes 2G et 514 pylônes 3G seront implantées au cours de même période. Dans ce laps de temps, Viettel promet une vitesse de transfert des données sur la 3G de 256 kilobits à la seconde, contre 144 pour le rival le mieux disant. Autre élément de comparaison, Viettel envisage l'installation de 1851 stations de base (BTS) en 2 ans, tandis que Bharti Airtel estime atteindre cet objectif au bout de... 15 ans. Faut-il le rappeler, la qualité d'un réseau de télécommunications mobile dépend de son taux de couverture réalisé le nombre de BTS installé. Pour mieux percevoir l'effort, il suffit de signaler qu'en 13 années de présence sur le marché camerounais, les deux opérateurs actifs n'ont implanté qu'environ 1000 BTS chacun. Viettel envisage le recrutement de 6300 personnes dont 5000 en zones rurales pour densifier le taux de pénétration du mobile dans les contrées oubliées par les acteurs actuels du marché. Cerise sur le gâteau, d'après une source introduite, conformément au cahier de charges, 30% du capital de Viettel Cameroun seront mis en vente à la Douala Stock Exchange, la bourse camerounaise. De quoi appâter d'éventuels investisseurs. II- LE RÔLE DE MASS TELECOM Avant le lancement du processus d'ouverture du marché de la téléphonie mobile à un troisième opérateur, ce cabinet américain conseillait déjà le gouvernement à propos de la pose de la fibre optique. A l'entame de l'initiative visant à concéder une troisième licence de téléphonie, en 2011, Mass Telecom (MT) est recruté. En dehors du rôle de conseil, ce cabinet dont le mandat se limite à celui d'un maître d'œuvre contrairement à Avilyos préposé au contrôle le seul lien entre les deux structures se bornant à la simple représentation de MT par Avilyos à certaines réunions, sans plus -doit entre autres construire et alimenter une data room, c'est-à-dire un portail servant de base de données pour ceux désirant se lancer dans l'aventure. Il doit aussi servir d'interface entre le gouvernement et les soumissionnaires. Dans cette perspective, MT démarche en quelque sorte les différents opérateurs aux fins de les intéresser à l'offre camerounaise. Cet aspect de son travail conduit à l'interruption du processus en décembre 2011, lorsqu'Etoudi instruit l'ouverture du marché à la concurrence. En fait, se sentant lésé pour n'avoir pas été sollicité, l'opérateur Moov se plaint à la présidence de la République. L'instruction donne lieu à un débat animé au sein de comité interministériel sur la conduite à tenir. Finalement, sur la suggestion de M. Pierre Titi, Ministre délégué auprès du Ministre des Finances et représentant ce département, l'on décide de reprendre intégralement le processus. Le 28 mai 2012 est lancé l'appel à manifestation en vue du recrutement d'un opérateur. Entre temps, le Ministère délégué à la présidence chargé des Marchés publics (Minmap), récemment créé, entre en scène, estimant que le lancement d'un tel marché lui incombe. Une réunion à Etoudi débouche sur la reconnaissance de la compétence du Minpostel en la matière, sur la base de la loi du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques. Ce texte dispose, dans son article 35 alinéa 2; que l'administration des télécommunications assure, entre autres, «le lancement des appels d'offres pour les concessions et les licences». Il lui est toutefois demandé d'intégrer ce département ministériel dans le comité-interministériel. Quelques jours plus tard, M. Abba Sadou désigne pour ce faire Mme Saïbou, née Asta Wabi Mana, inspecteur N° 2 chargé des contrôles des Marchés publics au Minmap. Dans la foulée, il est demandé au Minpostel de lancer le recrutement du cabinet devant accompagner le gouvernement. Se pose alors un problème: comment peut-on recruter un cabinet censé rechercher les opérateurs en même temps que les soumissionnaires? Compte tenu des délais le terme du processus est fin 2012 et en suivant le processus, cela s'avère impossible. Or, le contrat de Mass Telecom qui doit s'achever à la signature de la convention avec le nouvel entrant, coure toujours, puisque l'interruption n'est pas de son fait et sa facture reste pendante. D'où l'option prise de poursuivre avec ce cabinet à la suite de la réunion présidée par M. Ferdinand Ngoh Ngoh. C'est sur cette base que le Minpostel adresse la lettre du 20 juillet 2012 à son homologue du Minmap. «Me référant aux dernières hautes instructions sur l'objet cité (recrutement du consultant devant accompagner le Gouvernement, ndlr), j'ai l'honneur de vous informer que le Cabinet MASS TELECOM Corp, bénéficiaire du marché N°0000057/M/MPT/DAG/2011 du 26 juillet 2011, objet de l'accord de gré à gré N°B68/d/SG/PM du 28 décembre 2010, est confirmé pour poursuivre son mandat jusqu’au terme prévu, à savoir l'octroi effectif de la Concession d'établissement et d'exploitation d'un réseau de communications électroniques mobiles», rédige M. Biyiti bi Essam. Il est pour le moins étonnant que le bout de phrase «Me référant aux dernières instructions sur l'objet cité» ait disparu des articles ayant jusque là traité le sujet. En outre, sur le conflit potentiel entre le Minpostel et le Premier Ministre, il importe de signaler que le représentant de la Primature, M. Serge Dimitri Okono Ebanga, a siégé au comité interministériel du début à la fin du processus. Et la transmission du rapport du comité interministériel à Etoudi s'est faite par les bons soins de l'immeuble étoile.




Dans la même Rubrique