La chef d’agence du quotidien Le Jour pour les régions du Littoral et du Nord-Ouest, a été sauvagement agressée le 4 août 2012 alors qu’elle répondait à l’invitation d’une de ses connaissances à Bonapriso-Douala.
Pauline Poinsier Manyinga
Photo: © Le Jour
Dans l’entretien qu’elle a bien voulu accorder au Messager après les inhumations de ses deux collègues, Jacques Bessala Manga et Stéphane Tchakam, elle revient sur les circonstances de cette agression, la plainte qui a été déposée contre elle au parquet de Douala et ne manque pas de situer l’opinion sur les mesures qu’elle compte prendre pour sa sécurité qui estime-t-elle, est menacée.
Dans quelles circonstances avez-vous été agressée ?
Je me trouvais avec des amis le samedi 04 Août 2012 à Bonapriso à Douala, à la rue Vasnitex, au lieu dit «La Villa». C’était dans la soirée. Je les ai quittés vers 22h pour rentrer chez moi, car j’habite loin, et j’avais une émission à la télé le lendemain à 12h à Ltm. Rappelons que peu de jours avant, Mme Evelyne Ngo Mbée, épouse Hiol, la propriétaire, m’avait appelée pour m’inviter dans son restaurant à la Porte Jaune, situé à la rue voisine de la rue Vasnitex. Elle m’avait dit au téléphone que son copain voulait me voir, car ils se demandaient tous pourquoi je ne venais plus. Je lui avais répondu que j’étais en deuil, car un collègue à moi, Jacques Bessala Manga, avait été assassiné à la machette à Yaoundé, et j’étais encore sous le choc. Par ailleurs, la prudence s’imposait. Comme j’étais à côté de son restaurant ce jour-là et que son gardien m’avait affirmé qu’elle était en train de fermer, j’ai décidé de m’arrêter, histoire de lui faire plaisir, et éventuellement rentrer avec elle, car j’habite Makèpè, et elle est non loin, à Ndogbong. Il n’y avait que sa voiture dehors, mais j’ai été surprise de voir du monde à l’intérieur. Il s’agit des « gardes de corps » de son copain, un avocat assez sympa, plus 03 ou 04 femmes que je ne connais pas, sans compter les employés, son fils et un musicien, ainsi qu’un monsieur accompagné d’une femme. Le monsieur voulait absolument faire ma connaissance, et je ne voulais pas. Mais Evelyne a insisté. Elle nous a présentés. Lui, c’est M. Valentin Ngong, procureur de la République à Nkongsamba. Elle m’a dit que c’était un frère Bassa, qu’il avait beaucoup d’argent, qu’il avait été procureur à Douala, et qu’il fallait que je sois «sympa» avec lui. Elle lui a dit que j’étais aussi Bassa, et journaliste. Elle lui a donné mon nom, avant de m’installer à côté de la copine du procureur, sans me la présenter. L’homme s’est mis à me faire la cour en patois et j’étais très gênée, car il utilisait des termes un peu lourds et sa compagne commençait à manifester de l’animosité à mon égard. Je lui ai fait remarquer la chose, mais il a continué, sans égard pour sa copine. A un moment donné, cette dernière s’est mise à m’insulter copieusement, me traitant de pauvre petite journaliste. Elle a dit qu’elle allait me massacrer, et me prouver qu’elle est la femme d’un procureur, et la sœur d’un feyman nommé «Kester». Quand j’ai vu que çà virait à la dispute et que personne n’intervenait, je me suis levée pour aller me tenir plus loin. Elle a continué de m’insulter, me traitant de vieille femme de 50 ans, par rapport à elle, qui n’a «que» 40 ans. Quand je lui ai répondu à mon tour qu’à sa place, je devrais aller me cacher parce que son homme s’intéressait ouvertement à une «vieille» et que je craignais d’imaginer à quoi elle ressemblerait à mon âge, elle a bondi sur moi sans crier gare, et m’a renversée au sol, puis elle s’est acharnée sur moi, cherchant à me défigurer et à me décoiffer. Je ne pouvais pas me défendre, avec mon pagne serré, et mes hauts talons. Mais je protégeais mon visage. Elle s’est emparée d’un verre cassé pour me blesser, mais je me suis protégée, et elle m’a profondément tailladée le pouce droit. Le sang coulait à flots, mais les gens semblaient contents, et personne n’a levé le petit doigt pour intervenir, pas même le procureur, qui pouvait donner l’impression d’être content qu’une journaliste célèbre se bagarre pour lui. C’est bête, mais c’est ainsi. C’est quand la femme s’en est prise à mon menton, à mes mâchoires et à mes dents que je l’ai mordue pour lui faire lâcher prise. Elle a crié à son tour. Alors et alors seulement, les autres l’ont levée de dessus moi. Et j’ai pu me remettre debout.
Comment expliquez-vous le fait que l’assistance ne soit pas venue à votre secours ?
Quelle assistance ? Vous voulez parler de tous ces lâches et tous ces bons et bonnes à rien ? Sachez que tout cet aréopage sinistre est à la solde du plus fort ! C’est la force du pouvoir et de l’argent. Alors, imaginez-vous les propres amis de bar d’un procureur de la République, de la sœur d’un feyman, d’une propriétaire de restaurant cabaret, et par ailleurs, copine d’un avocat, et vous comprendrez que chacun avait vite fait son choix. Et bien sûr, ce n’était pas moi. Mais, j’ai la foi et le Bon Dieu pour moi.
Pourquoi donc aller dans un tel endroit où on ne vous aime pas ?
Equinoxe y convie ses invités après une de ses émissions de dimanche. Et puis, Evelyne et moi sympathisions, du moins je le croyais. Sachez aussi qu’en dehors du journalisme, je fais dans l’esthétique, et Mme Hiol est une bonne cliente, qui me donne parfois des clientes. Mais elle a refusé de me porter secours ce jour-là, quand je lui ai demandé de m’accompagner aux urgences. C’est grâce à son fils métis qu’on m’a bandé le doigt avec une serviette de table. Elle n’a jamais pris de mes nouvelles jusqu’à ce jour, et personne ni du procureur, ni de la femme ne se sont manifestés pour quelque excuse. Mais, j’avais pardonné à tout le monde, à travers un sms envoyé à Mme Hiol. Car contrairement à mon malheureux collègue Jacques Bessala Manga qui n’a pas eu autant de chance, après son agression, moi, je suis en vie, du moins, pour le moment…
Pourquoi, vous croyez-vous en danger ?
En danger de mort même ! Puisque la femme a proféré des menaces claires contre moi quand je quittais les lieux ce jour-là, et maintenant, je les prends très au sérieux.
Justement à ce propos, il nous est revenu que la partie adverse a déposé une plainte contre vous. Que comptez-vous faire en tant que victime comme vous le dites ?
Rappelons que je n’ai jamais été dans une logique de guerre contre elle ou les autres, alors que c’est bien moi, la vraie victime. Mais la dame, dont je sais maintenant qu’elle s’appelle Mesmyne Fotso Christiane, a effectivement porté plainte contre moi auprès du procureur de la République à Douala, pour m’expédier directement à la prison de New Bell avec un certificat médical et j’en passe ! Rappelez-vous que faute de me tuer, elle a juré de me faire passer le reste de ma vie derrière les barreaux, grâce à ses relations au parquet et l’argent de son feyman de frère. J’avoue franchement que ce programme me donne la chair de poule, mais aussi bizarre que cela puisse paraître, je crois en la justice de mon pays. Tout le monde n’est pas ripoux au Cameroun, malgré la corruption ambiante décriée. J’ai donc confiance, même si je me demande si cette agression n’est pas un crime déguisé contre une journaliste qui dérange… Avouez quand-même qu’un procureur de la République mêlé à une sordide histoire de fesses, dans un bar, c’est un peu bizarre ! Mais n’oubliez pas qu’en tant que journaliste, je me bats personnellement depuis 21 ans pour la démocratie dans mon pays, et je suis assez fière d’être pour quelque chose dans ce qui a été fait pour parvenir à l’Etat de droit dont le Cameroun tout entier jouit aujourd’hui. Je vais donc faire usage de tous les instruments de défense que l’Etat du Cameroun met à la disposition de chaque citoyen démuni de moyens financiers. La Vierge Marie sera mon avocate. J’entends par ailleurs solliciter la protection des pouvoirs publics, et plus précisément, le procureur de la République de Douala. S’il m’arrive quelque chose demain, au moins, vous saurez où chercher. Je prends les médias et les Camerounais à témoin. Mais s’il est écrit que je doive aller en prison, eh bien, j’irai en prison ! Après tout, Séverin Tchounkeu, Pius Njawè etc., sont passés par là. C’est tout ce que je puis vous dire pour le moment.