PPTE: Ouf ! Le Cameroun tient son point d’achèvement

Par Xavier Luc Deutchoua | Mutations
- 28-Apr-2006 - 08h30   64011                      
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Lassés par la persistance de la mauvaise gouvernance, les bailleurs de fonds accèdent aux attentes du gouvernement. Des questions sur les lendemains.
Le conseil d’administration du Fmi et de la Bm accorde le fameux sésame au Cameroun. Cet après-midi, le Premier ministre recevra un fax conjointement signé par les responsables de la Banque mondiale (Bm) et du Fonds monétaire international (Fmi). Les deux institutions accordent le point d’achèvement de l’initiative ppte au Cameroun. L’information que nous annonçons en primeur émane d’une source très proche du dossier. Le contenu du fax va faire sauter de joie Ephraïm Inoni et l’ensemble de son gouvernement. Mais, selon notre informateur, l’atteinte du point d’achèvement par le Cameroun n’a rien d’une victoire pour les pouvoirs publics. Il s’agit d’une sorte de but "accordé avec faute". Pour un responsable du Fmi que nous avons joint au téléphone, un pays prometteur comme le Cameroun n’aurait pas dû éprouver tant de peine pour atteindre ce fameux point. Malgré les sacrifices consentis par les populations, depuis au moins 2000, le Cameroun est toujours pris en défaut sur de nombreux points qui conditionnaient l’atteinte du point d’achèvement. Absence de transparence et faible utilisation de l'assistance intérimaire des fonds Ppte dont l'objectif était de lutter contre la pauvreté à travers le financement des secteurs sociaux (dispensaires, écoles, infrastructures rurales, etc.). En effet, le Cameroun a bénéficié, au mois de décembre 2000, d’une assistance intérimaire de l’ordre de 300 millions de dollars (soit plus de 200 milliards de Fcfa) sur trois ans. Il est à signaler que, parmi les pays bénéficiaires de cette aide, le Cameroun est le seul pays qui n’a pas pu absorber les ressources ainsi mises à sa disposition pour lutter contre la pauvreté. Les ressources Ppte sont constituées des sommes qui auraient dû être versées aux bailleurs de fonds, au titre du service de la dette. Des sommes qui sont déposées chaque mois dans un compte spécial ouvert à la Béac pour financer des projets de lutte contre la pauvreté. D’après les fonctionnaires de Bretton Woods et leurs correspondants locaux, cette manne a le plus souvent été utilisée à d’autres fins que le soulagement des souffrances du bas peuple. A plusieurs reprises, les bailleurs de fonds ont attiré l’attention des pouvoirs publics camerounais sur les dérives enregistrés dans la gestion de ces fonds. La dernière mise en garde remonte au 5 avril dernier. L’Allemagne, la France, le Canada, l’Union européenne, la Banque africaine de développement, le Fmi et le Pnud, tous membres du Comité de suivi de la gestion des fonds ppte (Ccst/ppte), avaient déroulé une litanie de mauvaises pratiques: le flou entretenu entre les crédits Ppte et les fonds du budget d’investissement public; les dépenses somptuaires comme l’achat de véhicules de luxe et le payement des frais de mission, les surfacturations, le fractionnement des marchés financés sur fonds Ppte… Autant de dérives qui auront rendu pénible l’atteinte du point d’achèvement, et qui, de l’avis des experts du Fmi et de la Bm, restent d’actualité. Le Pm l’a implicitement reconnu, en témoignent ses dernières instructions du 8 avril et les sanctions prises à l’encontre de sept agents de l’Etat, impliqués à divers niveaux dans la gestion des fonds Ppte. Sur l'ensemble des pays ayant atteint le point de décision en décembre 2000 (assistance intérimaire du PPTE), le Cameroun est ainsi le dernier pays - n'ayant pas connu la guerre - à atteindre le point d’achèvement. A titre d'exemple, les pays suivants ont franchi cette ligne avant le Cameroun : le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, Madagascar, la Mauritanie, le Niger, le Rwanda, le Sénégal, le Ghana, le Mozambique, le Tanzanie et l’Ouganda. Un document d’analyse soumis aux administrateurs membres du conseil d’administration du Fmi et de la Banque mondiale, dont nous nous sommes procurés une copie, retrace la descente aux enfers du Cameroun. A la fin des années 70, le Cameroun était l’un des pays les plus prometteurs en Afrique Sub-Saharienne, en termes de réussite économique, compte tenu de son important potentiel en ressources naturelles et humaines et de son faible niveau d’endettement. La crise remonte au début des années 80. Elle s’est déclarée sous la forme d’une "crise matérielle et une absence de repères au sein de la société se traduisant par une crise des valeurs". Au cours des deux dernières décennies, le rêve camerounais s’est transformé en cauchemar. Le niveau de vie du Camerounais moyen a été réduit à un peu plus de la moitié, le chômage de masse a atteint tous les segments de la population. En conséquence, la pauvreté extrême et la précarité ont gagné du terrain dans les villes et les campagnes. Crise morale et corruption Maintenant que le point d’achèvement est atteint, gare à la désillusion. Le bruit fait autour de cette affaire, depuis quelques années, a donné l’impression que la vie va changer au lendemain du 28 avril, même si le chef de l’Etat avait déjà entrepris de mettre en garde les Camerounais contre tout triomphalisme le 11 novembre 2005, jour de lancement du Recensement de la population. L'expérience des pays ayant atteint le point d'achèvement montre que la plupart d’entre eux continuent de crouler sous le poids de la dette et de la pauvreté de masse, en raison de l'atrophie du secteur productif et de l'absence de stratégie pour mettre en place des économies compétitives capables de créer des emplois pour un grand nombre, et de la mauvaise gouvernance. Sur ce dernier plan, le Cameroun affiche, depuis le début de cette année, sa résolution à améliorer la gouvernance. Notamment par la création de l’Agence nationale des investigations financières (Anif) e de le Commission nationale anti-corruption (Conac), le vote du projet de lois portant déclaration des biens des gestionnaires de la fortune publique, la mise en place de la Chambre des comptes. Sans parler de l’interpellation de certaines personnalités soupçonnées de mauvaises gestions et/ou de détournements de deniers publics. Mais toutes ces mesures seront sans effet notable sur le quotidien des Camerounais, si les questions de fond ne trouvent pas de réponses: quel type de rapport à entretenir dorénavant avec les bailleurs de fonds? Va t-on continuer avec les programmes d'ajustement? Avons-nous la discipline nécessaire pour faire les réformes sans le Fmi en bénéficiant simplement de leurs conseils sans conditionnalités? Les équipes en place ont-elles la capacité de préparer un programme de relance et de modernisation de l'économie camerounaise? Que faire pour ne pas retomber dans un endettement inconsidéré? Quelles leçons tirons-nous de la gestion des deux dernières décennies?




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