Privatisations: Niba Ngu porte plainte contre l’Etat

Par Thierry Ngogang | Mutations
- 22-Jul-2004 - 08h30   56477                      
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L’ancien ministre et ancien DG du CTE demande des réparations pour non respect de la convention de cession de la filière thé de la Cdc. L’affaire est enrôlée à la cour internationale d’arbitrage de Paris depuis le 18 juin 2004
Affaire Niba Ngu/Cte/Etat camerounais L'ancien ministre réclame des milliards à l'Etat Le 18 juin 2004, l'ancien ministre de l'Agriculture a porté plainte contre l'Etat camerounais auprès de la La Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale à Paris pour non respect de convention. Approché hier par le reporter de Mutations, John Niba Ngu n'a pas voulu s'étendre sur le sujet. Tout juste se borne t-il à relever qu'une plainte a été déposée et l'instruction suit sereinement son cours. Victor Onana, l'un de ses proches conseillers, se montre plus disert : "C'est en tant que directeur général de la Cameroon Tea Estates (Cte) que monsieur John Niba Ngu a porté plainte contre l'Etat camerounais pour non respect de la convention signé le 18 octobre 2002. la même plainte s'étend aussi au consortium sud africain Brobon Finex et à l'homme d'affaires Hamadou Baba Danpullo. Nous avons laissé plus d'un an et demi à l'Etat pour régler ce contentieux. Comme rien n'est fait depuis, nous avons donc, comme le prévoient les textes de la convention, porté l'affaire au niveau de la Cour ". En ce qui concerne le montant des dommages et intérêts réclamés par John Niba Ngu, Victor Onana estime que " Pour l'instant, nous souhaitons juste que l'Etat nous rétablisse dans nos droits. Le reste sera évalué plus tard". Bien qu'il n'ait pas voulu en dire plus, l'on a appris que le montant réclamé était de l'ordre de plusieurs milliards de F.Cfa. 1 - Historique de la privatisation Le vendredi 18 octobre 2002, près de 10 ans après l'annonce officielle de la privatisation de la Cameroon developpement corporation (Cdc) et 24 mois après le lancement de l'appel d'offres sur les quatre filières (thé, caoutchouc, huile de palme et banane) explotées jusque-là par le deuxième employeur du pays après l'Etat, le gouvernement camerounais trouve enfin preneur pour la filière thé. Fleuron de la Cdc, cette filière est cédée aux Sud-africains de la Brobon Finex, qui ont une longue expérience dans le domaine de l'exploitation du thé. Cette opération rapporte à l'Etat camerounais la rondelette somme de 2,6 milliards de F CFA, dont près de la moitié, soit 1,103 milliard, doit servir à rembourser les dettes accumulées par la filière. De manière détaillée, la filière thé comprend trois plantations industrielles sur les sites de Tolé (454 ha), Ndu (668 ha) Djuittitsa (446 ha), tous plantés. Le thé produit est transformé dans trois usines, pour une production annuelle de 4 000 tonnes. L'Etat cède 65 % de la filière thé au consortium sud africain Brobon Finex Limited. Le repreneur devra vendre 5 % des parts acquises au personnel de la Cdc. L'Etat conserve 35 % des parts. Le consortium crée alors le 11 mai 2002 une société de reprise dénommée Cameroon Tea Estates (Cte), avec pour directeur général John Niba Ngu. L'apparition de cet ancien ministre de l'Agriculture et ex-directeur général de la Cdc et de la Socapalm dans le projet n'est pas le fait du hasard. Contre forte rémunération, c'est ce dernier qui a été le partenaire technique du consortium sud africain tout au long du processus de privatisation. C'est donc en signe de reconnaissance de son expertise qu'il est nommé par le repreneur Brobon Finex. Dans la géographie du capital de Cte, le repreneur détiendra 60 % du capital, l'Etat 10 %, le personnel 5 % et les autres actionnaires privés nationaux 25 %. Selon les engagements pris par le repreneur, ce dernier doit procéder à l'augmentation de la production de 500 ha sur 5 ans sur les sites de production existants de Ndu, Tole et Ndjuittitsa. Pour accroître la surface totale à près de 3 000 hectares au bout de 15 ans. Par ailleurs, en plus du prix de cession, le repreneur doit réaliser un programme d'investissement évalué à plus de 8 milliards de F.Cfa sur 10 ans. Comme dans le cas des autres sociétés agricoles privatisées (Hevecam, Camsuco et Socapalm), les terres agricoles ne sont pas cédées. Elles restent la propriété de l’Etat. Elles sont plutôt données en bail emphytéotique dans le strict respect de la législation et de la réglementation en vigueur et sous la vigilance du ministère de l’Urbanisme et de l’habitat. Tous les contrats de travail du personnel déjà affecté à la filière thé de Cdc et d'autres personnes venant de la direction générale de la Cdc sont reconduits. Le repreneur s'engage aussi à poursuivre l'exécution de toutes les missions de service public que la Cdc assurait dans les zones dédiées à la culture du thé en matière de santé, d'éducation et de logement du personnel, d'appui au développement et à la vulgarisation agricole du thé, de collecte d'achat de l'ensemble des productions des plantations villageoises. 2 - Les raisons de la crise Moins de trois mois après sa prise de fonctions, motivant sa décision par "l'absence de qualification et d’expérience de ces cadres et agents emmenés par l'actionnaire majoritaire; la déstabilisation des employés hérités de la Cdc provoquant une baisse de la productivité; ce qui pourrait occasionner d'importantes pertes pour la Cte S.A.", le 31 décembre 2002, par une note circulaire, le Directeur général, John Niba Ngu, décide de licencier 30 employés de l'entreprise. Dans la charrette des licenciés, on retrouve le contrôleur de gestion, le directeur financier adjoint, le directeur adjoint de la plantation de Tole, le directeur adjoint de la plantation de Djuititsa, le directeur adjoint de la plantation de Ndu...et même le directeur adjoint de Cte, Mahamat Alamine Mey, qui cumulait les fonctions de Directeur commercial. Les employés qui se rendent à leurs postes de travail le 2 janvier 2003, apprennent cette décision unilatérale en parcourant le babillard de la direction générale à Bota. Mis au courant de cette évolution, l'essentiel des actionnaires sud-africains (Chris Faraday, directeur général de Brobon Finex d'Afrique du Sud ; Derrick C. Garvie, Président exécutif de Brobon Finex ; Eddie McDonald et Jennifer Garvie) qui se trouvent déjà au Cameroun, pour le deuxième conseil d'administration de Cte S.A. prévu initialement le 12 janvier 2003, décident de prendre des mesures conservatoires face à un acte qu'ils jugent déloyal. Ainsi la session du Conseil prévue pour le 12 janvier 2002 est avancée d'une semaine. Le samedi 4 janvier 2003, John Niba Ngu est officiellement déchu de ses fonctions de directeur général de la Cameroun Tea Estate (Cte S.A.). " La décision de l'ex-directeur général de licencier des employés dont une dizaine de cadres recrutés par Brobon Finex, l'actionnaire majoritaire et propriétaire, sans notre consentement ni même avis, est non seulement illégale mais préjudiciable pour les intérêts de Cte et de la paix sociale. Nous l'avons annulée et, à l'unanimité, démis son auteur. Le Dga assume ses fonctions en attendant la nomination d'un nouveau Dg", explique Derick Garvie, Pca de Cte S.A. Selon toute vraisemblance, les véritables raisons de la tension entre John Niba Ngu et Brobon Finex seraient liées à la présence des cadres non ex-Cdc qui, avec des missions opérationnelles bien précises, vidait de toute substance le pouvoir du directeur général. Selon des propos recceuillis par le trihebdomadaire Le Messager auprès de ses proches "Le Dga, Mahamat Alamine Mey, avait ainsi compétence pour négocier et conclure directement les commandes de thé, à charge uniquement pour lui d'informer sa hiérarchie. Il aurait ainsi commencé à conclure des commandes de longue durée. Ce qui excluait de fait son Dg de la maîtrise du juteux réseau de distribution". 3 - Les contre-attaques Le vendredi 10 janvier 2003, exécutant l'ordonnance N°HCF/25/P/2002-2003/1M/03 du tribunal de grande instance du Fako, des huissiers de justice réinstallent John Niba Ngu à la tête de Cte. Non seulement la même ordonnance du juge des requêtes accorde à M. Niba Ngu le droit unique de mouvementer les comptes de Cte SA, mais, en plus, elle interdit la présence dans les locaux et installations de Cte Sa des autres agents et cadres recrutés par Brobon Finex, qui ont été limogés par lui. Reprenant ainsi "le pouvoir", l'un de ses tous premiers actes est de signifier cette nouvelle donne aux banques. Ces dernières recourent aux autorités administratives pour savoir s'il faut accepter les demandes de fonds de l'ex-nouveau Dg ou les ignorer, comme c'était le cas depuis le 4 janvier. Prudent, le préfet du Fako leur conseille de maintenir le statu quo, jusqu’à nouvel avis. Saisi dans la mi-journée de vendredi par le président exécutif de Brobon Finex, Derrick C. Garvie, le Procureur général près la Cour d'appel du Sud-Ouest, Chief Justice Ekoko Ben Dualla, provoque un nouveau rebondissement en signant le jour même une décision ordonnant la suspension de service de M. Niba Ngu comme Directeur général de Cte, jusquà nouvel avis. Le motif est simple, puisqu'il s'agit de circonscrire des risques de troubles à la Cte et à l'ordre public, qui seraient, selon Derrick C. Garvie, inévitables, étant entendu que "la cohabitation entre M. Niba Ngu et les cadres et employés emmenés par eux, est de nature à mettre en péril la paix à Cte en particulier, et à Limbe en général. Ce qui compromettrait les investissements annoncés". 4 - Querelles sur le capital Au moment de signer la convention, Derrick C. Garvie, Pca du Groupe Brobon Finex Pty Ltd, révèle à la presse que la holding sud-africaine détient 65 % des actions sur un capital de près de 3 milliards. 5% de ces actions doivent être rétrocédées ultérieurement aux employés de la Cte-S.A. Selon des modalités à convenir avec les concernés. Les 35 % restants sont, selon la convention de cession, à la disposition de l'Etat du Cameroun, qui garde à terme 10%, tandis que les 25 % autres sont ventilés à certains privés nationaux, y compris les riverains des plantations de Ndu, Djuititsa et Tolé. Selon John Niba Ngu, la répartition serait toute autre. En fait, ce dernier estime à 45% les intérêts du gouvernement camerounais, les travailleurs de la Cte S.A et les partenaires techniques de la Cte (dont il est l'acteur principal). Et 55% pour l'actionnaire majoritaire sud-africain. Mieux, quatre jours après son limogeage, dans une interview accordée au quotidien gouvernemental CameroonTribune, John Niba Ngu affirme " être actionnaire de Cte à concurrence de 5% ". Suivant cette logique, au milieu du mois de janvier, ses avocats, conduits par Me Bonu Innocent, demandent à Brobon Finex que 600 millions de Fcfa lui soient versés au titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice que constitue son limogeage. Cette plainte est motivée par deux raisons principales : M. Niba Ngu affirme être lié à Brobon Finex par un contrat de 10 ans au poste de directeur général. Deuxièmement, le même contrat reconnaissait sa qualité de "partenaire technique " dont l'apport en industrie représenterait 5% du capital. Il présente à ce sujet un document notarié de Me Madeleine Ngono Ze, portant déclaration de souscription et versement du capital de Cte où il apparaît que M. Niba Ngu aurait versé 500.000 Fcfa tandis qu'un deuxième actionnaire, la Ccml aurait les mêmes parts (500.000 représentent 50 actions de 10000 Fcfa chacune). Le reste du capital de Cte, 9 millions, auraient été versé par Brobon Finex représenté par Chris Faraday. Il voudrait aussi avoir des stock-options calculés en espèce. Une information démentie par les administrateurs de la Cte S.A, qui estiment plutôt que "Toutes les études techniques menées par M. Niba Ngu, avant l'acquisition, étaient payées par Brobon Finex. Après l'acquisition, nous l'avons nommé Dg de la Cte S.A, avec un salaire important, en signe de reconnaissance de son expertise. Ce qui ne signifie pas qu'il en devenait actionnaire. Tout au plus aurait-il pu, s'il se comportait loyalement, espérer une meilleure rémunération de son travail. Il ne l'a pas fait. Bien au contraire, à notre insu, il a plutôt créé une autre societé parallèle le 16 août 2002 pour créer la confusion et essayer de se réapproprier le projet".




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