Musique: Viviane, un tube pour la vue

Par Marion Obam | Mutations
- 02-Sep-2004 - 08h30   67944                      
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A 19 ans, l'artiste non-voyant Prince Aimé fait un carton avec son premier album.
Timide, il l'est seulement quand il ne s'est pas encore familiarisé avec la voix de son interlocuteur. Après quelques minutes d'échange, Prince Aimé, de son vrai nom Clovis Tokam, perd sa réserve et se relâche. Mis en confiance par une voix qu'il qualifie de rassurante, il consent à livrer le secret du titre " Viviane ", qui fait un malheur actuellement et caracole aux sommets des hits de plusieurs radios locales. L'album de huit titres se consomme comme des petits pains dans toutes les discothèques, à Yaoundé, Douala, Bafoussam, etc. C'est, précise-t-il, une partie de sa vie qu'il a livrée dans ce travail: "L'histoire que je relate dans cette chanson est réelle. Sauf que, j'ai transformé le prénom. Vivienne était ma petite amie lorsque j'étais au centre de réhabilitation pour aveugles à Buea. J'essayais de lui donner tout ce qu'elle voulait malgré la vie difficile qu'on menait à l'internat. Un jour, en sortant de l'église, un ami mal-voyant a remarqué la fille à distance et me l'a dit. Quand je me suis rapproché, j'ai reconnu sa voix. Elle causait avec deux garçons, et quand je lui ai demandé avec qui elle était, elle m'a repoussé en disant en pidgin : See me da blind man, I no know yi. You can do weti for ma back ? [Regarde-moi cet aveugle. Je ne le connais pas. Que fait-il après moi? Ndlr] J'ai eu mal, car je l'aimais. Vivienne m'a ouvert les yeux. Et cela m'a marqué". D'où cette pointe de nostalgie et de désespoir que l'on retrouve dans le titre phare de cet album. Évidemment cette histoire a marqué le jeune artiste. Mais il n'est pas le seul. Dès que l'album a été mis dans les bacs, les Camerounais sont tombés sous le charme de cette assassine de "Viviane". Vivienne, devenue Viviane, refait parler d'elle, et on l'aime. Le fameux refrain d'interrogations "Viviane, pourquoi tu m'as fait comme ça ? Viviane, pourquoi tu m'as vidé les poches ?", se retrouve sur les lèvres des parents, enfants, étudiants, bayam-sellam, taximen, etc. Un succès que, dans l'obscurité profonde de sa cécité, Prince Aimé savoure sans modération. La profondeur et la sensibilité de l'artiste se retrouvent également dans les autres titres de son album: "Ami handicapé", "Repentance", "Je l'aime", "Sida", "Allez les lions" et "Merci papa Dzongang". Le titre "Hommage au chef" est le seul chanté en Bahouan, langue maternelle de Prince Aimé. Cet album est fortement imprégné de son séjour au Sud-Ouest, où il a passé six ans à se former. Sept titres sur huit sont écrits et chantés en français et en anglais, avec quelques reprises en pidgin. C'est d'ailleurs lors de son passage à Buéa qu'il découvre sa passion pour la musique : "Déjà tout petit, comme je suis handicapé visuel à la naissance, je cherchais toujours a extraire une musicalité de tous les objets que je touchais. Quand je suis allé au centre de réhabilitation, j'ai appris à jouer à la guitare rythmique et, en 1996, j'ai intégré le groupe "Les actes Bulu". Et, c'est là-bas que j'ai compris que l'handicap n'est pas une fatalité. Ma force de travail et de production résident dans la foi, la prière et le courage. Nous sommes des êtres à part entière et nous devons nous rendre autonomes et responsables." C'est ce qu'il a fait. Après son départ de Buéa, il a parcouru tous les carrefours et marchés de Douala et Yaoundé avec sa guitare. Ici, grâce à sa guitare, il faisait passer du bon temps aux passants heureux de ce divertissement, et qui lui témoignent leur admiration en lui donnant quelques pièces de monnaie. Et vint la rencontre fatidique: "C'est l'animateur Serge Pouth de la 105 Fm qui m'a sorti de la rue en m'amenant chez mon producteur actuel Flash Music ", confie Prince Aimé, avec toute l'humilité de quelqu'un qui a été soutenu pour se hisser au niveau actuel. Quand son manager, Merlin Likolo lui permet de souffler, il discute avec ses amis au quartier Village, à l'entrée de Douala, écoute la radio ou reste auprès de la télévision pour suivre certains feuilletons policiers ou d'amour. La nuit venue, il se concentre pour les textes de son deuxième album "Polygamie " en préparation.




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