Koko ATEBA: La Renaissance

Par | Cameroon-Info.Net
Paris - 15-Apr-2002 - 08h30   75261                      
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« …On m’a arrêtée ! J’ai passé 2 mois en prison. Quand je suis sortie, on m’a fait des excuses officieuses du Président de la République, qui apparemment n’avait pas été au courant de cette histoire qui avait pourtant fait un tabac… »
Elle pourrait en avoir gros sur le cœur. Koko Ateba se pose en victime de l’arbitraire, en héroïne de tragédie antique, poursuivie par les déesses du malheur. Maudire le destin, le mauvais sort ou sa naïveté. En 1988, sa carrière fut brisée. Elle avait commis l’irréparable: offenser publiquement, et en fait involontairement, l’épouse du Président de la République en interprétant devant elle un air traditionnel boulou: «Atemengue». L’équipe de Cameroon-Info.Net l’a rencontrée à Paris. Elle a encore un souvenir très frais de cette aventure. Désormais, elle préfère penser à l’avenir, sa guitare à la main. Magnéto: Cameroon-Info.Net: Est-il vrai qu’à 6 ans vous ne saviez écrire que 2 lettres, «u et m» ? Et pourquoi ses 2 là précisément ? Koko Ateba: Oui c’est vrai. C’était plus facile pour moi. Mais cela ne veut pas dire que j’étais idiote. Cameroon-Info.Net: Plus tard, vous êtes scolarisée à Douala. Vous devenez boursière et excellente élève. Qu’est ce qui fait le déclic ? Koko Ateba: Je devais être intelligente certainement plus petite. Je m’amusais, je n’étais pas consciente, et à un moment il fallait être sérieux voilà. Cameroon-Info.Net: Du coup vous arrêtez en classe de première pourquoi ? Koko Ateba: Non ! En classe de Terminale. Je voulais faire de la musique. C’était urgent pour moi de faire de la musique. Cameroon-Info.Net: Parlez-nous de vos débuts dans la chanson ! Koko Ateba: C’est une longue période, car pendant les vacances je chantais, je suivais les artistes comme Beti Beti à Nkongsamba. C’est d’ailleurs là-bas que j’ai connu les Henry Njoh, Elvis Kamayo et j’apprenais comme cela dans mes déplacements. Ensuite il y a eu la période de Yaoundé. Pendant les vacances toujours, je chantais au Philanthrope, une boîte de nuit à Yaoundé, où j’ai rencontré le célèbre ingénieur de son Ambroise Voundi. Ce fut un long apprentissage avec les personnes comme Sade Gide qui me donnaient des leçons de guitare. Cameroon-Info.Net: Vous chantez en plusieurs langues (Français, Anglais, Douala, Beti, Pidgin, etc.). Laquelle préférez-vous ? Koko Ateba: Aucune, parce qu’évidemment je suis Beti. Aujourd’hui, je parle moins bien le Douala. Je pense que chaque langue a sa musique. Quand je commence à jouer, je ne pense pas faire la chanson en une langue particulière, et la musique m’emmène sur la «langue». La langue s’impose comme celle qui va coller au rythme, avec ce que j’ai envie de dire. Je pense que le fait d’avoir grandi à Douala m’a permis d’être dans un environnement de mélange de cultures. Quand j’étais petite, je parlais le Yoruba, donc pas de barrière de langue. Cameroon-Info.Net: Sur une lancée extraordinaire, votre carrière est brisée en 1988 en l’espace d’une chanson «Atemengue», expliquez-nous ! Koko Ateba: J’espère que ce genre de chose ne m’arrivera plus, et je ne souhaite pas que cela arrive à quelqu’un. Non seulement vous ne comprenez pas ce qui vous arrive, et quand bien même on essaye de vous expliquer, vous n’imaginez pas qu’on ait pu penser cela de vous. Jamais je n’ai demandé à aller chanter à la Présidence de la République. Je ne connaissais personne dans ce milieu là. J’étais une petite chanteuse qui se battait tant bien que mal au Cameroun pour exister. Alors on m’invite à chanter, et on avait prévu cette chanson, que j’ai répétée avec l’orchestre national au vu et au su de tout le monde. Les chansons avaient été imposées. Ambroise Mbia, le directeur de la soirée, m’avait demandé de préparer la troisième chanson après ma première prestation. Je reviens donc sur scène pour cette chanson là. Le plus dur pour moi a été de ne pouvoir m’expliquer. On croit plutôt que je voulais faire du mal à quelqu’un au travers d’une chanson. Ca n’était pas mon objectif et surtout pas à une femme, par rapport à un problème de stérilité. Je trouve cela complètement aberrant. Cameroon-Info.Net: Le dénouement ? Koko Ateba: On m’a arrêtée ! J’ai passé 2 mois en prison. Quand je suis sortie, on m’a fait des excuses officieuses du Président de la République, qui apparemment n’avait pas été au courant de cette histoire qui avait pourtant fait un tabac. Je ne comprends pas qu’au Cameroun on puisse arrêter quelqu’un de cette façon, et qu’on interdise mes chansons etc. Ce fut une période très dure. Je ne voulais pas partir du Cameroun. J’ai dû m’y résoudre. En 1989, je suis partie au Gabon. En 1990, des amis m’ont fait venir ici en France, ensuite je suis partie au Canada où je voulais rester. Mais comme je connaissais déjà Paris, je suis revenue ici. Même si le temps a passé, j’aimerais bien comprendre ce qui s’est passé. Puisque moi-même à l’époque n’avais pas d’enfant, je viens juste d’en avoir, il a 5 ans et demi. Ils m’ont fabriqué une image: «l’artiste qui dérange, l’artiste engagé». Cameroon-Info.Net: Avez-vous rechanté «Atemengue» ? Koko Ateba: «Atemengue» c’est une chanson que ma grand-mère chantait. Elle me berçait avec. C’est la chanson d’une femme qui, restée longtemps sans avoir d’enfant, et le jour où elle se ramène avec une grossesse, les gens chuchotent que c’est pas vrai, et le jour où elle amène un enfant, on dit qu’elle l’a volé. Ma grand-mère la chantait sur un ton drôle. Cette histoire, ma mère l’a vécue. Moi-même j’ai vécu la situation décrite dans cette chanson, parce que les gens disent que le fils que j’ai n’est pas le mien. Je vais la ressortir en CD pour que les gens, les jeunes l’entendent. Depuis ce soir là, je ne l’ai plus jamais chantée. Il faut que les gens écoutent pour comprendre qu’il y a rien d’insultant. Il s’agit plutôt des plaintes d’une femme etc… Espérons qu’elle ne sera pas interdite au Cameroun. Cameroon-Info.Net: En 1990, vous arrivez en France. Le temps de vous remettre, vous faites sensation avec «Frou- Frou» qui devient le générique de l’émission de Christine Bravo (animatrice sur France 2, télévision française). Ensuite «Taxi» mon homme les transporte toutes… Vous faites allusion à quoi ? Koko Ateba: Christine Bravo: c’était un concours de circonstance, c’était avoir un peu de chance. Après ces péripéties là il fallait que la chance me sourie aussi (rires). Je travaillais avec un producteur, Jean Pierre Castellin, qui m’a demandé de travailler dans son studio comme je voulais. Un jour il m’appelle et me propose cette chanson qui est une vieille chanson française, il faut le souligner. Il me dit fait là comme tu la ressens, en gardant ton accent camerounais, et elle a fait du succès, j’ai fait toutes les radios, télévisions etc. Elle a connu un très grand succès. Taxi: je l’avais déjà chanté aussi. Il faut expliquer que les Betis sont des gens qui ont beaucoup de dérisions envers eux-mêmes, et les femmes Beti particulièrement aiment se moquer d’elles-mêmes. Dans cette chanson je me plains de mon homme qui est comme un taxi. Mais comme il vient quand même garer à la maison, je m’en contente… Mon homme c’est mon homme, je ne peux pas le changer, je le prends tel qu’il est voilà. Cameroon-Info.Net: Vous disparaissez de la scène, et vous déclarez dans Variété Info du 10/11/1994: «Le milieu musical black français c’est l’Afrique moderne transportée à Paris, beaucoup de compétition et peu de solidarité». Dans quel contexte avez-vous dit cela ? Koko Ateba: C’est vrai. J’espère que ça a changé maintenant. Il faut dire que c’est typiquement camerounais. J’ai l’expérience des gens agréables, assez solidaires comme les Touré Kounda, les Zaïrois. Dans les milieux camerounais, il y a peu d’artistes, que des vedettes, que des stars. C’est dommage parce que dans la durée on ne peut peut pas travailler ensemble. Il n'y a pas de groupe camerounais. En tout cas je n’en connais pas ! Quand cela existe, une fois qu’ils connaissent le succès, le groupe se disloque. Je me souviens de l’époque où on voulait créer une association avec Henry Njoh, Guy Lobe, mais c’était terrible, traumatisant. L’idée c’était d’avoir un lieu où les artistes camerounais pouvaient avoir les renseignements, avoir la possibilité de se faire reconnaître en ce qui concerne la préfecture pour obtenir facilement les «papiers» parce que quand un artiste est reconnu dans son pays, en passant par une association qu’on appelle: Service d’Aide ou Entraide intellectuelle si j’ai bonne mémoire, au vu de justificatifs, cet artiste pouvait avoir sa carte de séjour. Alors il y a eu tellement de combats, de bagarres, qu’on a fini par laisser tomber. C’est dommage peut-être parce que les Camerounais ont un fort potentiel, je n'en sais rien. Remarquez que Richard Bona a eu les mêmes problèmes. Cela a peut-être un côté positif, parce que ça te permet de te surpasser. Cameroon-Info.Net: Il faut dire que votre vie est jalonnée de hauts et de bas. De retour du Cameroun il y a 3 ans, plus d’appartement. Il y a 2 mois, vous avez perdu vos papiers, cartes bleues etc. Comment expliquez-vous cela ? Vous maudissez le destin ou alors vous vous positionnez en victime de l’arbitraire ? Koko Ateba: Je ne suis peut-être pas faite pour une vie stable. Je me suis mariée au Cameroun et je suis restée un peu longtemps. J’ai pas à trop m’expliquer là dessus, c’est ma vie… Cameroon-Info.Net: …Pourtant vous êtes toujours debout. D’où vous vient la force et le courage de faire face à tout cela ? Koko Ateba: C’est parce que je suis optimiste. Je suis bouddhiste. La vie, c’est le mouvement, c’est avancer, bouger. Cameroon-Info.Net: Vous avez un style assez particulier. D’aucuns disent que vous avez influencé Henry Dikongué, Richard Bona… Qu’en dites-vous ? Koko Ateba: Je ne le dirais pas. C’est vrai que Henry Dikongué m’a confié un jour: «je vous avais vu jouer à l’époque avec Jean Yves Oloko, et j’ai décidé de faire la même chose». Je dis tant mieux, la musique sert à cela aussi. Moi aussi, si je n’avais pas vu chanter d’autres, je n’aurais peut-être pas fait ce que j’ai fait ou alors ce que je continue de faire. Cameroon-Info.Net: Artistiquement parlant, comment vous sentez-vous ? Prépareriez-vous quelque chose ? Koko Ateba: Oui bien sûr ! Je travaille depuis longtemps. Les chansons sont là. Maintenant il faut trouver les bonnes personnes, le bon moment. Je ne suis pas une star qui doit à son public. Je suis une modeste artiste qui à un moment ressent les choses, et j’espère que les gens ressentiront la même chose. Mon objectif c’est que ma musique dure dans le temps, pas qu’elle soit consommée dans les 6 mois et qu’on n’en parle plus. Je ne veux pas seulement faire danser les gens. Mon truc c’est que 10 ans après, on écoute mes œuvres avec plaisir. Même si j’ai pas enregistré depuis, je me suis rendu compte avec beaucoup d’émotion que les gens ne m’avaient pas oublié, qu’ils continuent d’écouter mes œuvres. Mon album sortira probablement en Juin 2002. Il comptera 12 titres, parmi lesquels «Atemengue» Cameroon-Info.Net: Quelques questions à la Pivot: Vos qualités ? Koko Ateba: J’en possède plusieurs. Je suis trop gentille, généreuse. Je suis une incurable optimiste. Je suis sensible, et je fais bien la cuisine. Cameroon-Info.Net: Vos défauts ? Koko Ateba: Je vais trop vite dans ma tête: je suis une impatiente, je me mets souvent en colère quand les choses ne vont pas assez vite autour de moi. Il faut dire que je suis assez contemplative c’est peut être une qualité ou un défaut j’en sais rien. Parfois, je préfère aussi me retirer et regarder les choses de loin. Cameroon-Info.Net: Qu’est-ce qui vous attire chez les autres ? Koko Ateba: Les gens qui ont de l’énergie, qui se réalisent, qui avancent. J’aime les gens qui sont ouverts dans tous les sens, qui sont capables d’intégrer d’autres cultures, d’autres apports. Cameroon-Info.Net: Qu’est-ce que vous détestez chez les autres ? Koko Ateba: Les jaloux, les envieux, les radins, et les mesquins. Je pense que chacun a sa place dans le monde. Cameroon-Info.Net: Quels sont les mots qui vous caractérisent ? Koko Ateba: Energie, enthousiasme. Cameroon-Info.Net: Qu’attendez-vous de la vie ? Koko Ateba: Tout ! Que je vive pleinement, je veux être heureuse. Je suis bouddhiste, je pense que la vie se perpétue et tout ce que nous vivons maintenant conditionne ce que nous allons vivre dans le futur, donc il y a intérêt à être toujours dans le mouvement de la vie. C’est peut-être ésotérique ce que je dis là mais c’est la philosophie du bouddhisme. C’est à nous d’être souple, pour s’adapter au mouvement, c’est un peu comme la musique, on ne peut pas danser, apprécier une musique si on n’est pas souple. Cameroon-Info.Net: Un dernier mot ? Koko Ateba: Je suis contente d’être en vie, d’avoir mon fils, et j’espère donner aux gens quelques chose de bien, et je suis contente d’être camerounaise. Je suis à la recherche de Jean Yves Oloko qui se trouve probablement au Canada, Qu’il me contacte par le biais de Cameroon-Info.Net qui est le seul site à faire la promotion des artistes et de la musique camerounaise sur Internet. Mes félicitations !




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