Odza: L'opulence dans la pauvreté

Par Dorine Ekwè | Mutations
Yaoundé - 04-Sep-2003 - 08h30   66392                      
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Riches et pauvres se regardent sans se côtoyer.
Koweit-city. Irrémédiable-ment, l'évocation de ce nom vous renvoie dans ce pays lointain où, le pétrole est roi. C'est sans doute en se référant à ce détail que le quartier qui porte désormais son nom a été baptisé. Une bonne frange de la population qui y a élu domicile depuis quelques années, après avoir fait pousser comme des champignons ces chalets, villas et autres gigantesques châteaux dans lesquels, ils mènent une existence plutôt tranquille, vit dans l'oppulence. Quartier de " riches", Koweit-city a déclassé, dans l'appellation, la dénomination originelle du coin qui est Odza-si. Mais, les autochtones, profondément ancrés dans leur tradition préfèrent encore l'appellation Odza. Notamment lorsqu'ils empruntent un taxi. De l'avis de Bididi Owona, un sexagénaire à la mine épuisée " Nous ne trouvons pas nécessaire de commencer à dire que nous allons à Koweït alors que nous sommes déjà habitués à dire Odza-si ou autres bornes 09, 10. Nous ne pensons pas que cela puisse nous aider d'une façon ou d'une autre. On ne change pas juste pour le plaisir de le faire. Il faut des raisons plus profondes que celles-là. Moi je considère cela comme du snobisme ". Classé dans la liste des nouveaux quartiers huppés de Yaoundé, Odza, bourgade située au sud de la ville, ne manque tout de même pas de charme. Ces grands espaces verts, le calme et la sérénité que l'on y retrouve ont été les éléments essentiels qui ont séduit la plupart de ses occupants. Certains romantiques lui trouvent d'ailleurs quelque chose " d'exotique " du fait des différences palpables que l'on peut observer ici et là, entre les habitants vivants à Odza-si (Koweit-city) et les personnes résidant du côté du dispensaire, de l'Auberge bleue ou encore de la casse du Mfoundi. Plus on dépasse les différentes bornes kilométriques, plus on a l'impression de s'enfoncer en pleine forêt. La végétation se fait de plus en plus dense, les habitations se font rares. Aux chantiers qui se terminent au quart de tour, succèdent de magnifiques bâtisses à l'architecture futuriste qui jouxtent de petites cabanes en terre battue ou celles toutes faites de planches ou de tôles récupérées nuitamment dans la plupart des cas dans les chantiers environnants. Du côté du lieu dit Casse du Mfoundi, juste à quelques mètres du carrefour Tropicana où l'on retrouve davantage les " gens du bas peuple", on se souvient encore de cette nuit où, le propriétaire d'une bâtisse n'avait pas hésité à démarrer " son énorme véhicule " pour venir perquisitionner chez le ferrailleur du coin qui, en journée lui aurait vendu des anti-vols finement travailler pour les " reprendre" quelques heures plus tard, et les cacher sous son lit. Un larcin qui avait valu aux protagonistes un querelle interminable. Avec rancœur, Godefroy Ondoa révèle cette cohabitation houleuse entre les nouveaux venus , riches et aisés, et les autochtones pauvres, et souvent employés comme manoeuvres dans les divers chantiers du coin. Barrage Les hommes sont embauchés comme manœuvres dans les chantiers, les femmes, elles, se font plutôt engager comme dames de ménage " dans les grandes villas ". Une appellation qui n'est pas sans rappeler les feuilletons esclavagistes retransmis à une époque sur le canal de la Crtv. Au retour de l'école (publique de Mvan ou catholique de Messamendongo), il n'est pas rare d'entendre les enfants s'extasier devant la qualité des maisons, de s'imaginer à l'intérieur. Cependant, les aboiements des chiens de race viennent vite mettre un terme à ces instants d'égarement, chacun des enfants déguerpissant au plus vite dès les premières menaces. Ceci pour le plaisir de quelques enfants gros-gras qui, du haut de leurs balcons observent avec mépris et condescendance la scène des enfants du quartier. Quartier de contrastes par excellence, Odza, c'est aussi ces femmes qui, tous les matins, alors que d'autres s'en vont travailler dans les bureaux avec air conditionné, s'en vont, elles, à travers les hautes herbes, s'occuper de leurs champs. Manioc, macabo, prune, maïs, et d'autres légumes constituent l'essentiel des aliments qu'elles cultivent. Lorsqu'ils sont prêts à la consommation, c'est au petit marché saisonnier du coin, au marché de Mvog-Mbi où en se baladant dans la rue qu'elles les écoulent. Ce qui permet aux habitants de toujours avoir des vivres frais. En semaine, devant les portes de la plupart des domiciles, on retrouve des étals sur lesquels on aperçoit de petits tas de tomates, des fines herbes, des bananes douces, des arachides caramélisées, du tapioca. Une machandise qui pourrait, en temps de besoin, dépanner les ménagères qui n'ont plus le temps de faire un saut au marché de l'abattoir, (le plus proche) ou celui de Mvog-mbi. Comme dans la plupart des quartiers qui se situent dans la périphérie de la ville, le barrage de gendarmerie ne manque pas. Tous les jours, entre 7h et 19h, on retrouve une patrouille de la gendarmerie nationale qui, avec des fûts, barre la route aux conducteurs de taxi-brousse qui transportent les clients de Mvog-mbi jusqu'au plus profond de la localité, chargeant souvent, à outrance leurs véhicules. Moqueur, un chauffeur de taxi-brousse (encore appelé Opep), raconte "c'est idiot mais c'est la vie. Par jour, nous avons 1.000F CFA à donner à ces gendarmes pour qu'ils nous collent la paix et nous laissent travailler tranquillement. A la patrouille du matin, nous donnons 5.00F et lorsque la relève survient dans les coups de 15-16h, nous leur donnons encore ces 5.00F". Malgré l'aversion évidente qu'ont ces chauffeurs pour leurs "bourreaux", c'est dans la bonne humeur que se passent les différentes transactions "nous n'avons pas de choix, même si quelqu'un à tous ses papiers et décide de faire cette ligne, la personne doit se conformer sinon, il lui sera quasiment impossible de travailler. Les femmes qui viennent des champs ont des sacs de manioc et d'autres vivres à transporter ainsi que du bois. Tout cela rempli la malle arrière qu'à la fin nous avons du mal à fermer et généralement, c'est ce qui pose problème. Et puis il y a aussi un avantage, quand les membres de la patrouille savent que vous avez payé, vous êtes libre de porter tout ce que vous voulez en étant sûrs que vous ne serez plus embêtés". Dans ces petites voitures rouges, grises ou vertes qui ne brillent pas par leur propreté, les occupants serrés comme des sardines dans une boîte de conserve (quatre derrière et trois devant) se connaissent presque tous et ont des relations particulières avec le chauffeur. D'ailleurs, celui-ci ne s'adresse à eux qu'en Ewondo, tant pis pour ceux comprennent pas, ils se feront traduire les propos par leurs voisins. Les conversations portent dans la plupart des cas sur les derniers mouvements du Délégué à la Communauté urbaine de Yaoundé, Nicolas Amougou Nnoma, où sur la flambée des prix des aliments dont, chaque samedi, on va faire la réserve au marché Mvog-mbi. Emilienne Mvondo, résidant à la borne 10 témoigne "le transport jusqu'à Mvog-mbi coûte 150F donc ce n'est pas une histoire d'argent, la distance est vraiment longue, et pour gagner du temps, nous préférons tout acheter le samedi quand c'est possible, cela nous facilite la tâche". Quoi qu'il advienne, aucun trajet en opep après le rond point Messamedongo, n'est possible sans l'arrêt au " péage ". Ici, un gendarme de mauvaise humeur peut alors décider de vous faire passer le quart d'heure le plus long de votre vie. Même si vous affirmez, avoir dans votre voiture un malade à conduire d'urgence au dispensaire d'Odza où dans l'un des centres de santé qui pullulent actuellement dans le coin. Ici cependant, tous ces petits centres de santé prodiguent tout juste les soins de première nécessité. Ambiance Privées pendant de longues années de lieux de loisirs, c'est avec un engouement non dissimulé que les populations de cette bourgade ont, il y a quelques temps, vécu l’arrivée des groupes de balafonistes qui, chaque week-end, venaient se produire à l’auberge bleue d’Odza. Rendez-vous exclusivement réservé aux clients de cette auberge venus faire des infidélités à leurs conjoints en compagnie de jeunes minettes ou le contraire, le mouvement s’est ensuite ouvert à toute la population du coin. Les files de voitures et des personnes ivres mortes étaient alors devenues les images que les noctambules qui se retrouvaient de ce côté avaient droit. Quelque temps plus tard, c’est au lieu dit la Villageoise que s’est transposée cette passion, avant de s’ouvrir comme c’est désormais le cas, aux nuits de folie qui font désormais l’essentiel de la programmation du week-end. Une programmation qui fait perdre tout sens de la prudence, et se font agresser à chacun de ces coins obscurs que l’on retrouve dans le quartier. C’est aussi cela, vivre dans un quartier en construction.




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