Cameroun - Affaire Stéphanie Djomo: Le journaliste Jean Lambert Nang tance Equinoxe TV et fait le procès de la presse

Par Fred BIHINA | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 25-Nov-2020 - 16h29   9613                      
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Jean Lambert Nang Culturebene
Notre confrère soutient que la chaîne privée aurait simplement dû faire amende honorable. Il en profite pour faire la critique du fonctionnement de la presse au Cameroun.

On joue les prolongations de l’affaire Stéphanie Djomo. Cette femme a récemment été arrêtée et écrouée en prison, puis libérée, à la suite de son passage dans une émission sur les antennes d’Equinoxe Télévision, au cours de laquelle elle avait affirmé avoir perdu ses deux petites filles pendant qu’elle fuyait les combats entre l’armée et les séparatistes à Kumba (région du Sud-Ouest).

Une histoire inventée, a confessé l’intéressée aux forces de l’ordre et dans une interview accordée à la CRTV après sa libération. Le média d’Etat en a profité pour faire le procès d’Equinoxe TV, à qui Yaoundé reproche son positionnement éditorial, considéré comme favorable à l’opposition.

Abondant dans le même sens, le journaliste Jean Lambert Nang charge la chaîne de Sévérin Tchounkeu dans une tribune publiée ce 25 novembre 2020 sur les réseaux sociaux.

«Il eut été surprenant qu'Equinoxe TV se reconnût bidouilleur dans le cas dame Djomo. C'eût été se tirer une balle dans la tête. Ce n'est pourtant pas la première fois que cette chaîne se fait prendre les pieds dans le tapis de la désinformation», soutient l’ancien employé de la CRTV.

L’enseignant de journalisme en profite pour critiquer la pratique de la profession au Cameroun. «Le métier de journaliste est engagé dans une dérive qui en fait finalement une bombe. Traqués par la précarité, tous ceux qui sont en capacité de gribouiller, de délirer ou de brailler se prennent pour des journalistes. Une situation que l'avènement des réseaux sociaux a empirée: tout Tartempion peut dire ou écrire sur tout, sans en produire les preuves. Il suffit pour cela de se créer une page sur Facebook ou You Tube !», fustige le directeur de la Communication internationale et de la promotion de l’image au ministère de la Communication.

Ci-après, l’intégralité de son texte:

TEMPETE DANS UN VERRE D'EAU

Il y a dix ans environ, la chaîne de télévision privée M6 monta une enquête de toutes pièces. Le sujet principal portait sur le trafic de de la drogue dans les banlieues parisiennes. Sujet très sensible, surtout quand on connaît la densité de la population noire dans les communautés extra urbaines. Les acteurs jouèrent leur rôle à fond, dans un casting qui le disputait aux films hollywoodiens.

Point n'est besoin de dire ici l'émotion que provoqua la diffusion de ce "documentaire" dans l'opinion française. M6 fut portée à l'olympe pour son travail que l'on jugea très professionnel et exemplaire.

Mais les éloges n'avaient pas fini de fuser que déjà la polémique se mit à sourdre. Elle enfla même plus vite qu'attendue. Les jeunes des banlieues qui avaient servi de cobayes dans la réalisation du scénario qui les vilipendait se rétractèrent, suite aux réactions de ceux qui les reconnurent. Excédés, ils passèrent aux aveux sur les chaînes concurrentes qui s'en donnèrent à cœur joie : M6 les avait payés pour jouer les Bad boys. Le bidouillage avait tombé son masque. M6 fut se confondre en excuses...

Il y a quelques mois, Équinoxe TV se gaussait d'avoir levé le lièvre de Ngarbuh. Le gouvernement fut faire profil bas et reconnut, à son corps défendant, sa turpitude.

Le cas de dame Djomo n'est-il pas du même tonneau mais dans l'autre sens ? Équinoxe TV, qui s'est jurée de ne rien voir de positif dans tout ce que le gouvernement entreprend pour stopper la crise dans la partie anglophone n'est-elle pas victime de sa propension effrénée à rechercher et à accumuler les accusations contre ce régime qu'elle déteste viscéralement ? Lasse donc de ne pas voir l'Etat commettre d'autres méprises, pourquoi ne fabriquerait-elle pas ses propres chefs d'accusation sur les fondements de pseudo témoignages ? La tentation est grande...

Je l'ai dit ici même: le métier de journaliste est engagé dans une dérive qui en fait finalement une bombe. Traqués par la précarité, tous ceux qui sont en capacité de gribouiller, de délirer ou de brailler se prennent pour des journalistes. Une situation que l'avènement des réseaux sociaux a empirée: tout Tartempion peut dire ou écrire sur tout, sans en produire les preuves. Il suffit pour cela de se créer une page sur Facebook ou You Tube!

Il eut été surprenant qu'Equinoxe TV se reconnût bidouilleur dans le cas dame Djomo. C'eût été se tirer une balle dans la tête. Ce n'est pourtant pas la première fois que cette chaîne se fait prendre les pieds dans le tapis de la désinformation. Il n'y a pas longtemps, la communauté musulmane était invectivée à la suite d'un témoignage d'une jeune dame qui prétendait avoir été en captivité chez son mari actuel, lequel la violait, la violentait l'esclavageait. La toile s'en délecta et honnit "ces hommes du nord qui n'ont aucun égard pour les petites filles". On caricatura leurs traditions mysogines...

Il fallut attendre la vérité combinée du mari et de son beau-père pour comprendre que la télé avait fauté. Pour dire le moins.

La course vers le scoop, qui foule aux pieds les principes élémentaires de cross-checking, la vérification des faits et la confrontation des sources, ne peut que conduire aux dérapages dont plusieurs médias de rendent coupables quotidiennement. Parallèlement, la détestation d'un régime ne saurait dicter des règles nouvelles d'une profession centenaire ni justifier des attitudes intentionnellement coupables. Le journalisme est froid. Le journaliste s'efface devant le fait sacré. Fox News, chaîne de télévision dont la proximité avec les républicains américains n'est plus à démontrer, a été la première à proclamer la victoire de Biden...

Jean Lambert Nang

Auteur:
Fred BIHINA
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