Cameroun - Crise anglophone: Pour Herman Cohen, ancien Secrétaire d’Etat américain chargé de l’Afrique, la solution passe le l’instauration du fédéralisme

Par Fred BIHINA | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 09-Oct-2019 - 14h55   8868                      
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Herman Cohen Archives
Le diplomate à la retraite a accordé une interview exclusive au quotidien Mutations paru le 8 octobre 2019.

Cameroon-Info.Net vous propose des extraits de cet entretien.

Question: Parlons du Cameroun. Quel souvenir gardez-vous de ce pays? Y avez-vous des liens particuliers?

H. Cohen: Quand j’étais plus jeune, j’étais au département d’Etat; nous avons reçu la visite de l’ancien président, Ahmadou Ahidjo. C’était en 1972. Il n’était pas en visite officielle, c’était une visite privée. Il a reçu des invitations pour visiter plusieurs entreprises et plusieurs Etats. Mon patron m’a demandé de l’accompagner et d’être son interprète. J’ai donc eu l’occasion de bien faire sa connaissance pendant son voyage. J’ai aussi dirigé la division Afrique centrale du Département d’Etat et je me suis rendu assez souvent au Cameroun et j’ai beaucoup apprécié le Cameroun parce que c’était le pays d’Afrique centrale ayant la meilleure gouvernance économique.

Question: Vous vous êtes rendus une fois dans les régions anglophones ?


H. Cohen: Oui. J’ai visité Bamenda, j’ai visité Buea. Je me rappelle d’une plage avec du sable noir. J’ai passé pas mal de temps dans ces régions. Des groupes séparatistes armés revendiquent aujourd’hui l’indépendance de ces régions.

Question: Le 1er octobre, sur votre page Twitter, vous avez souhaité un bon anniversaire d’Indépendance aux populations de ces régions. Cela a été perçu comme un soutien de votre part à leur prétention séparatiste. Est-ce exact?

H. Cohen: Non. Pas du tout. Je ne suis pas du côté des séparatistes ni d’autres groupes politiques. Ce que je souhaite, c’est que la culture anglophone continue, qu’elle ne soit pas écrasée par les francophones. Quand ils ont eu leur indépendance en 1961 sous le mandat des Nations Unies, il leur a été demandé s’ils voulaient se rattacher au Nigeria ou au Cameroun dans un système fédéral. Et dans ce système fédéral, il y avait une très grande autonomie pour l’éducation, pour la justice et pour beaucoup de choses. A mon avis, le referendum de 1972 qui a aboli ce système fédéral était illégal.

Question: La lutte armée des séparatistes est-elle justifiée?

H. Cohen: C’est dommage qu’ils aient pris des armes. Moi je suis contre la violence. C’est dommage d’en être arrivé là. Une solution aurait pu être trouvée bien avant.

Question: Certains séparatistes vous ont choisi pour être leur interlocuteur dans le cadre des négociations avec le gouvernement camerounais. Vous avez décliné l’offre. Pourquoi?

H. Cohen: Dans la diaspora camerounaise aux Etats-Unis, il y a effectivement des gens qui soutiennent les séparatistes et qui m’ont contacté pour être leur représentant dans les négociations. Je leur ai dit non. Il vaut mieux avoir un médiateur gouvernemental pour trouver une solution pour que ce soit appliqué.

Question: Le Président camerounais vient de faire arrêter les poursuites contre plus de 300 personnes détenues dans le cadre de cette crise dite anglophone. Qu’en pensez-vous?

H.Cohen: Je me félicite de cette décision. Ça montre deux choses: qu’il a reconnu qu’il ne peut résoudre le conflit par la force, par les armes. Deuxièmement, qu’il a compris qu’il faut négocier, qu’il ne trouvera pas de solution sans la négociation. C’est une bonne chose.

Question: Comment doivent réagir ceux qui bénéficient de ces arrêts de poursuites?

H.Cohen: Je crois qu’ils doivent accepter de négocier. Que ce soit les séparatistes, les opposants et tous ceux qui ne cherchent qu’une meilleure vie ; il est nécessaire de négocier pour trouver une solution pacifique à la crise.

Question: Comment résoudre durablement cette crise et, quel rôle les Etats-Unis et la communauté internationale peuvent jouer à cet effet?

H.Cohen: Il faut retourner à la fédération qui existait avant 1972. A mon avis, c’est la meilleure solution. Les gens veulent juste préserver leur culture anglophone, parler anglais dans les écoles, les tribunaux, ne pas sentir qu’ils sont dominés par les Francophones. Pas de vivre dans un Etat qui serait trop petit. Je crois que Francophones et Anglophones peuvent vivre ensemble et le gouvernement n’a rien à perdre.

Question: Justement, certains membres du gouvernement camerounais redoutent que le retour à la fédération ne soit qu’une étape vers une division du pays…

H.Cohen: Au contraire, je crois que le meilleur moyen de garder les Anglophones, c’est de revenir à la fédération, de leur laisser une autonomie culturelle.

Question: Donc, pour vous, l’idée d’un Etat indépendant d’Ambazonie est à exclure?

H. Cohen: Non, non. Pas d’Etat indépendant. Il faut retourner à la fédération. La culture, le système anglophone doit perdurer.

Question: Donc on retient que pour vous, c’est le retour à la fédération qui est la solution…

H.Cohen: Oui. Mais c’est l’une des solutions. Il y en a probablement d’autres. Ce qui compte, c’est que les Anglophones préservent leur culture, qu’ils se sentent bien dans leur relation avec les Francophones, qu’ils cohabitent pour le bien-être de tout le monde, y compris sur le plan économique.

 Fred BIHINA

Auteur:
Fred BIHINA
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