Cameroun - Crise anglophone: Le père Ludovic Lado a lancé son pèlerinage pédestre pour protester contre la poursuite des violences dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest

Par Yannick A. KENNE | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 13-Oct-2020 - 07h39   10837                      
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Père Lado en pèlerin Droits réservés
Ce prêtre jésuite est parti de Douala le lundi 12 octobre 2020 à pieds, et compte se rendre jusqu’à Bamenda et Buea, pour dénoncer l’indifférence de l’Eglise catholique et du gouvernement dans la recherche des solutions au conflit armé dans ces deux régions.

Le père Ludovic Lado, prêtre jésuite et Anthropologue, a entamé le lundi 12 octobre 2020, un pèlerinage pédestre à partir de Douala. Celui-ci le conduira jusqu’à Bamenda et Buea, les capitales régionales du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, prises entre deux feux, en passant par Yaoundé, pour marquer son indignation contre l’indifférence du clergé et du gouvernement camerounais dans la résolution de la crise dans les deux régions.

Dans une lettre ouverte à la communauté nationale et internationale, le père Lado décline les motivations supplémentaires de son initiative, qui est née à la suite du meurtre de sang froid de la jeune Comfort Tumassang, par des séparatistes au mois d’août 2020 à Muyuka (Sud-Ouest).

«Je marche pour que le sang humain cesse de couler dans notre pays. Je marche pour que le droit constitutionnel de manifester pacifiquement au Cameroun soit respecté. Je marche en solidarité avec les déplacés internes et les réfugiés de la crise anglophone. Je marche pour exorciser en moi et en nous le démon de l’indifférence. Marcher n’est pas seulement un droit humain mais divin. Je marche pour que ça marche», écrit-il.

Parti de Douala lundi, il a fait escale dans la localité de Kissoum, région du Littoral, et va mettre le cap ce mardi sur Edéa, toujours dans la même région. Son itinéraire le conduira à Yaoundé, où il prévoit de rendre visite à Olivier Bibou Nissack, le porte-parole de Maurice Kamto, arrêté dans la foulée des marches du 22 septembre 2020.

Le 13 août 2020, l’homme de Dieu avait annoncé dans un message sur sa page Facebook, qu’il entreprendrait ce pèlerinage et se disait prêt à y laisser sa vie pour cette cause.

«Si d’ici le mois Octobre 2020, L’Eglise catholique, l’Etat Camerounais et les ambazoniens n’ont rien fait pour le dialogue, la justice, la réconciliation et la paix dans le NO/SO, je ferai ma part. Je n’ai rien à cacher. J’entamerai un pèlerinage pédestre qui m’amènera de Bamenda à Buea en passant par Yaoundé et Douala jusqu’à ce que les belligérants entendent raison et mettent fin à la souffrance humaine dans ces régions», déclarait-il.

 

Voici l’intégralité de sa lettre au lancement de son pèlerinage pédestre :

 

LETTRE OUVERTE D’UN PRETRE CATHOLIQUE QUI MARCHE

« LEVE-TOI ET MARCHE » (Jn 5, 8)

Chers Compatriotes,

Quand vous lirez ceci, je serai déjà en chemin, pour faire ma part. Je vous écris fraternellement pour partager avec vous l’esprit du pèlerinage de la fraternité et de la réparation que j’entreprends à pied ce 12 octobre 2020, de Douala à Yaoundé, pour prier, d’une part, pour le dialogue, la justice, la paix et la réconciliation dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun et, d’autre part, pour faire pénitence pour la réparation des crimes contre la dignité humaine commis dans ces régions particulièrement. Je puise dans ces valeurs chrétiennes qui sont simplement humaines : fraternité, dialogue, justice, réconciliation, paix.

« Lève-toi et marche » (Jn 5, 38) disait Jésus au malade qui, comme notre pays, avait attendu la guérison pendant 38 ans. Au commencement de la crise anglophone, vous vous souvenez, était une marche pacifique réprimée. Et depuis un peu plus de quatre ans le sang coule dans le NO/SO. Récemment encore plusieurs centaines de manifestants pacifiques ont été arrêtés et croupissent dans les cellules infectes de notre pays. Je marche pour que le sang humain cesse de couler dans notre pays. Je marche pour que le droit constitutionnel de manifester pacifiquement au Cameroun soit respecté. Je marche en solidarité avec les déplacés internes et les réfugiés de la crise anglophone. Je marche pour exorciser en moi et en nous le démon de l’indifférence. Marcher n’est pas seulement un droit humain mais divin. Je marche pour que ça marche.

Le thème général de ce pèlerinage est « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9), question que Dieu posa à Caïen qui venait de tuer son frère. Je me réjouis particulièrement de la sortie récente de l’encyclique du Pape François « Fratelli Tutti » (Tous frères) sur la fraternité et l’amitié que je lis et médite avec beaucoup de saveur pendant ce pèlerinage. Oui, où sont nos frères et soeurs du NO/SO ? Certains sont morts, souvent dans des conditions atroces ; d’autres sont restés au pays mais dispersés dans nos villes et campagnes, souvent à nos portes ; d’autres encore sont réfugiés hors du pays. La plupart sont restés dans le NO/SO où leur dignité est quotidiennement éprouvée par la précarité. Face à tout cela un pasteur peut-il rester tranquille ? Mon cœur me répond NON ! J’ai donc décidé d’entreprendre ce pèlerinage que j’offre au Seigneur Jésus Christ, le prince de la paix, de la justice et de la miséricorde, comme les cinq pains et deux poissons des apôtres dans les Saintes Ecritures (Lc 9, 16). Il en fera ce qu’il voudra.

Pour le volet pénitence, j’ai été fortement encouragé récemment par la journée nationale de jeûne et de prière organisée par la Conférence des évêques catholiques des États-Unis en vue de réparer le péché du racisme et de renouveler son engagement pour la justice raciale. En effet, en méditant sur le passage de la Genèse d’où est tiré le thème général de ce pèlerinage, j’ai été touché par l’évocation des conséquences sociales et cosmiques de tout crime de sang : « Le Seigneur reprit : « Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi! Maintenant donc, sois maudit et chassé loin de cette terre qui a ouvert la bouche pour boire le sang de ton frère, versé par ta main. Tu auras beau cultiver la terre, elle ne produira plus rien pour toi. Tu seras un errant, un vagabond sur la terre. » (Gn 4, 10-12). Notre sol est désormais maudit par le sang des innocents. Je marche donc aussi pour faire pénitence pour la réparation des crimes de sang commis contre les innocents dans le cadre de cette sale et inutile guerre du NO/SO.

Enfin, la première phase de ce pèlerinage qui a lieu ce mois d’Octobre me conduit de Douala à Yaoundé, le cœur des institutions politiques dont la première vertu, nous le dit Paul Ricoeur, doit être la justice sociale. Je voudrais vous rassurer que même si je suis un ardent défenseur de l’alternance politique comme indicateur de toute saine démocratie, je ne marche pas pour demander le départ de ceux qui sont au pouvoir. Ce n’est pas mon rôle mais celui des politiciens. Mais je n’oublie pas que c’est un politicien qui a fait tuer Jésus Christ pour contenter le clergé de ces temps-là. Le point culminant à mon arrivée à Yaoundé sera la visite que je rendrai à M. Bibou Nissack, détenu au SED, symbole de plus de 600 détenus de la marche du 22 septembre 2020. Je marche aussi pour la libération de tous ces détenus.

Enfin, cette phase de mon pèlerinage est aussi ponctuée d’une levée de fonds pour contribuer à la scolarisation des enfants des déplacés internes dans les autres régions du Cameroun. Cet élan de générosité est l’expression et l’incarnation même de notre fraternité, car, en effet, nous sommes « Tous frères », comme vient de nous le rappeler le Pape François dans sa belle et providentielle encyclique. Et parlant d’incarnation, Jésus s’est incarné pour se faire notre frère et nous apprendre à appeler Dieu « Notre Père ». Je marche pour partager un tout petit peu la condition de nos frères et sœurs du NO/SO, déplacés internes ou réfugiés, qui vivent dans la précarité depuis un peu plus de quatre ans. Vous pouvez contribuer à la mesure de vos possibilités aux numéros suivants : 6 83 91 80 56 / 6 97 21 04 80. En sponsorisant un pas, vous offrez un cahier ou un livre à un enfant déplacé interne.

Voilà, chers confrères, le sens de cet exercice spirituel et humain. Je sollicite humblement vos prières pour que mon offrande soit agréable à Dieu comme celle d’Abel et que cette guerre fratricide qui viole la dignité humaine puisse enfin prendre fin pour céder la place aux négociations de paix et au travail de réconciliation. Nous sommes tous frères et sœurs (Fratelli Tutti). Que Dieu vous bénisse !

Fraternellement,

Ludovic Lado SJ

 

 

Auteur:
Yannick A. KENNE
 @yanickken39
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