Mayi Matip: l’immortel l’a emporté

Par | Mutations
Edéa - 22-Jan-2003 - 08h30   60930                      
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Le patriarche est décédé loin des théâtres politiques Plusieurs fois annoncé mort, Théodore Mayi Matip a finalement rendu l’âme samedi dernier à Eseka sa ville natale à l’âge de 73 ans, localité où il naquit en 1923, en pleine forêt équatoriale. Par la grâce de la providence, quelques années plus tard, le jeune Théodore Mayi Matip entre à l’école primaire supérieure de Foulassi...
Jeune premier à l’intelligence remarquée pour une formation et un ancrage professionnel qui n’a pas tardé à s’afficher : secrétaire de police. Aussi le tranquille secrétaire de police travaillant assidûment dans l’administration coloniale, ne tarde-t-il pas à montrer qu’il n’est pas du genre à attendre que la porte s’ouvre grandement pour prendre les clés et la censure de son destin. Surfant sur la bonne étoile, il devient rapidement son propre impresario. A cette époque, il était difficile de ne pas afficher ses convictions pour la cause indépendantiste. C’est ainsi que Théodore Mayi Matip adhère à la Jdc (Jeunesse démocratique camerounaise) mouvement proche de l’Upc (Union des populations du Cameroun). Il approche Ruben Um Nyobè et manifeste son intention d’adhérer à l’Upc. Cette démarche est farouchement combattue par les jeunes loups à l’instar de Félix Roland Moumié. Ce dernier trouve la proximité avec le policier comme faisant partie des cohabitations explosives. Ruben Um Nyobè tranche : " si l’administration coloniale peut nous infiltrer c’est une perte de temps car nos causes sont justes. C’est à nous d’en faire des agents doublés "… Revigoré et rassuré Théodore Mayi Matip intègre les rangs. Il suit ainsi toutes péripéties qui marquent l’affiliation de son parti au Rda (Rassemblement démocratique Africain), autant que celles qui conduisent aux premières interventions du secrétaire général du parti Ruben Um Nyobè à l’Onu en 1949. Après les massacres du 25 mai 1955 à Douala qui ont conduit à l’interdiction de l’Upc, le parti subit là, le premier véritable contre-coup de son existence. Le parti est contraint à la lutte armée, Théodore Mayi Matip se retrouve dans le maquis. Aux côtés de Ruben Um Nyobè. Félix Moumié, Ernest Ouandié, Abel Kinguè et les autres sont contraints à l’exil, s’installant pour certains à Accra et pour d’autres, au Caire. La chasse à l’upéciste se durcit dans les bastions traditionnels du parti à savoir l’Ouest et la Sanaga Maritime dans ses " limites naturelles ". Des villages entiers " zones rebelles " sont rasés. Acculé jusque dans ses derniers retranchements et bâillonné de toutes parts, le parti peine à s’organiser : armes insuffisantes, précarité financière, structures désorganisées… Trahison Théodore Mayi Matip qui, en ce moment là, entretien encore une étrange mobilité entre Eséka (base de l’armée coloniale) et Boumeybel (Qg de l’Upc clandestine) se réclame pourtant du cercle le plus intime et des amis de Ruben Um Nyobè. On le voit monter et descendre dans un sens comme dans un autre, jusqu’au jour du 13 septembre 1958, la nouvelle qui édifie tout son mystère actuel tombe : Ruben Um Nyobè est assassiné. Les recoupements sont faits à la dimension du choc que crée cette nouvelle dans l’opinion, on cherche mais on ne tombe que sur des fébriles spéculations et sur une pile d’interrogations, les unes aussi lancinantes que les autres. On demande à Mayi Matip ce qui s’est réellement passé dans la brousse, puisque que tous les témoignages affirment qu’il est l’un des rares à avoir passé la nuit avec Ruben Um Nyobè et de ce fait l’un des rares à l’avoir vu durant les derniers moments de son existence. On l’interroge également sur le fait exceptionnel qu’il soit l’un des rares à s’en être sorti vivant – en compagnie Antoine de padou Yembel Yebel – d’un traquenard qui a pourtant décimé tous les " rebelles " d’un coup. Il tente de justifier son rôle flou, ses fréquentations inquiétantes, à travers ses silences et ses non-dits. On entend alors Mayi Matip dire, les rares fois où il évoque la disparition de celui dont il se prévalait pourtant l’amitié, une chose et son contraire : un coup, qu’il était allé pisser, un coup qu’il était à la rivière, un autre coup, qu’il avait disparu de façon mystique échappant à une mort certaine, avant d’affirmer de manière péremptoire qu’il n’était pas là du tout. Alors, les questionnements demeurent entiers et les suspicions se renforcent, finissant par faire dire à la plupart, à l’image de Augustin Frédéric Kodock qu’incontestablement, Mayi Matip a " vendu " Um Nyobè aux colons français. Un mystère autour duquel va se nouer, jusqu’à ce jour, toute l’énigme qui va participer à l’insaisissable personnalité de Théodore Mayi Matip. Car, pour achever de semer le trouble dans les esprits, l’homme juste après l’assassinat de son mentor, Ruben Um Nyobè, crée le courant de " l’Upc ralliée ", encore appelée " courant des Matipistes " qui s’acoquine aussitôt du gouvernement camerounais, dirigé à l’époque par André Marie Mbida. Vive consternation de la part de Félix Roland Moumié et Ernest Ouandié qui se demandent bien à quel titre Mayi Matip ose parler de " ralliement au nom des upécistes ". Mayi Matip, décrit par l’édition du Monde du 09 août 1960, comme l’un des " leaders les plus en vue du mouvement nationaliste de l’Union des populations du Cameroun ", leur rétorque qu’il ignore au nom de quoi Moumié et autres, qui sont en exil et qui ne savent pas un bout des réalités du terrain, osent encore parler au nom de l’Upc. La rupture semble consommée, en dépit de quelques tentatives de réconciliation. Au 1er janvier 1960, Théodore Mayi Matip rejoint définitivement la dictature d’Ahmadou Ahidjo avec son camarade Emah Ottu en mettant sur pied un Bureau national provisoire (Bnp) qui accouche de l’Upc – légale. Laquelle Upc rompt radicalement avec les Ouandié et autres et ne tarde d’ailleurs pas à qualifier leur tendance de " aile Bamiléké ". Les affaires ne s’arrangent pourtant pas tout de suite avec le gouvernement qui, jugeant le processus apaisement de l’Upc trop lent, envoie Mayi Matip et Emah Ottu se faire voir ailleurs : six mois de prison politique. Mayi Matip en sort et poursuit sereinement sa route, en acceptant affablement de fondre, le 1er septembre 1966, dans le " parti unifié ", l’Union nationale camerounaise. La formation que crée Ahmadou Ahidjo, celui qu’il donnait pourtant l’impression de considérer quelques années auparavant comme un tyran question de " mettre fin au désordre du multipartisme ". La récompense est à la mesure de la trahison : Ahidjo fait de lui le premier vice-président de l’Assemblée nationale, poste qu’il occupe jusqu’au départ de ce dernier, en 1982. Où il rejoint Paul Biya et fait partie de la crème dure qui s’échine à mettre en place les fondations du Rdpc au congrès de l’Unc de Bamenda. En 1987, commence pour Théodore Mayi Matip la descente aux enfers, à cause du principe mouvant de la désignation des candidats Rdpc aux élections législatives sur base démocratique. Mayi est proprement désavoué par son électorat qui lui préfère l’anonyme Nlep Bitong. Le revers est sévère pour l'indéboulonnable patriarche qu’il se croyait. Il s’installe dès lors à Eséka, s’occupant de la chefferie Ndog Njee, attendant comme il peut le multipartisme. Dès les toutes premières heures de légalisation des partis politiques, il démissionne du Rdpc et reprend le chemin de l’Upc, le " parti de ses premiers amours ", selon ses propres propos, à la première réunion de relance et de réconciliation de novembre 1990, chez le prince Dicka Akwa, à Douala. Il s’active à créer le premier comité directeur mais s’en sort sans aucune poste de responsabilité : il est désigné simple " conseiller ". Il se fâche et quitte le bloc Dicka Akwa auquel il nie du coup toute légitimité, vire à l’Upc – Manidem et milite pour la Commission nationale de réconciliation des upécistes (Cnru). Une première réunion se tient à Eséka où se retrouvent tous les anciens exilés. Retour manqué A la veille des présidentielles de 1992, on le voit pactiser avec Ndeh Ntumazah pour faire campagne avec John Fru Ndi. Peu satisfait de cette alliance quelque peu boiteuse, il abandonne à nouveau Ndeh Ntumazah pour se remettre avec le clan Dicka Akwa qu’il insultait pourtant hier. L’amourette dure le temps de l’espoir pour l’investiture aux législatives. Déception, il quitte sans tarder Dicka Akwa et rentre violemment dans la contestation. Interrogé sur ses convictions exactes, il répond avec son inégalable sens de la formule, que " l’Upc est comme un chien qui à quatre pattes. Le tout n’est pas de voir le mouvement de chaque patte, mais de suivre la direction du chien qui avance ". Ainsi, largué par son temps, laminé par les multiples volte-face, il a cru pouvoir hisser ses obscures ambitions, Théodore Mayi Matip se débrouille comme il peut accrocher quelque part. C’est ainsi qu’on le retrouve très actif au " congrès unitaire de 1996 " à Yaoundé et à Makak où il négocie sans se fatiguer, son investiture en tant que Secrétaire général du parti. " Niet ", lui disent Kodock et les autres. Il se fâche de plus belle, fait le deuil de l’unité du parti, adhère au camp de Henri Hogbe Nlend à la lisière des présidentielles de 1997. Mais l’affaire tourne court, puisque le " prof " de maths prend garde de lui accorder le moindre poste important. A nouveau, démission. Et retour, usé, sans gloire, conspué et redouté, affaibli et isolé, rejeté, oublié… Théodore Mayi Matip se replie dans sa base d’Eseka impuissant et malgré un activisme fantomatique, aux mille déchirements d’une Upc plus que jamais en lambeaux. Quelle trajectoire que celle de Théodore Mayi Matip qui est parti sans faire la lumière sur certains points d’ombre notamment sur les circonstances exactes de l’assassinat de Ruben Um Nyobè dont il détenait manifestement ou du moins en partie le secret. L’aurait-on retrouvé au congrès extraordinaire en compagnie de son secrétaire général ?. Source: Mbanga-Kack, Mutations




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