Zacchaeus Mungwe Forjindam, l’ex directeur général du Chantier naval et industriel du Cameroun (Cnic), est détenu à la prison centrale de Douala depuis le 07 mai 2008.
Zacchaeus Mungwe Forjindam, l’ex directeur général du Chantier naval et industriel du Cameroun (Cnic), est détenu à la prison centrale de Douala depuis le 07 mai 2008. Celle qui était jusqu’à cette date la directrice de l’administration et des ressources humaines de l’entreprise, Mme Rose Njoh Massot, connaît le même sort que lui. Plusieurs autres collaborateurs sont aujourd’hui poursuivis. Il s’agit de Njiande Antoine, Youte Samuel, Gounou Mathurin, Meugang Anette et Nuwalo Julius Fotikali. Le ministère public leur reproche une mauvaise gestion du Chantier naval ayant abouti à un détournement de deniers publics d’un montant global de 998 millions de Fcfa. Le premier niveau de détournement porte sur une somme de 652 millions de Fcfa et met en cause Forjindam, Njiande, Youte, Gounou, Meugang et Nuwalo. Le deuxième niveau est une distraction de 232 millions de Fcfa attribuée à Forjindam, Njiande, Youte et Gounou. Le troisième niveau de détournement d’un montant de 84 millions de Fcfa met en scène Forjindam, Mme Njoh, Njiande, Youte, et Gounou.
La dénonciation a été faite au procureur de la République par le commissaire aux comptes, Charles Kooh II, au sortir du conseil d’administration du 28 juillet 2006. Au cours de cette session, le rapport du cabinet d’audit conseil retenu par la Société nationale des hydrocarbures (Shn), l’un des plus importants actionnaires du Chantier naval, corroborait les plaintes et allégations du commissaires aux comptes. La Snh avait en effet exigé cet audit en 2005 comme préalable à son apport au financement du projet du yard pétrolier de Limbé.
Les récriminations contre M. Forjindam portent sur des dépenses non justifiées, au profit de fournisseurs, surtout au cours des exercices 2003 à 2005. Le commissaires aux comptes ayant qualifié tous les justificatifs apportés par l’ex-Dg de faux, le président du conseil d’administration, Louis Claude Nyassa, avait alors décidé que M. Forjindam supportera les dépenses dites non justifiées. Celles-ci s’élèvent à 652 millions Fcfa de 2003 à 2005. Elles sont constituées des cas de règlements par chèque sans justification, de règlements justifiés des factures fictives des fournisseurs, des règlements justifiés après coup, ainsi que des bons de commandes établis manuellement et qui ne respectent pas l’ordre chronologique attribué automatiquement par l’ordinateur. Expliquant ces irrégularités, Zacchaeus Mungwe Forjindam a affirmé que certains paiements avaient été faits pendant “ des coupures d’électricité ”. Ce qui justifie l’existence de documents établis manuellement.
Le commissaire aux comptes avait également relevé que plusieurs factures des mêmes sociétés avaient des entêtes différentes. Le Dg a expliqué cela par le fait “ qu’en fin d’année budgétaire, la comptabilité générale pour les besoins de bilan, exige de certains fournisseurs des pièces en régularisation des prestations fournies et payées au cours de l’année. Dans ces conditions, les entêtes des sociétés peuvent avoir subies une modifications par rapport à celle utilisées au moment de la prestation ”. Non satisfait par ces explications, le commissaire aux comptes a saisi le procureur de la République, le 3 août 2006. Dans sa requête, il affirme : “ Nos analyses confirment qu’une partie significatives des opérations décrites ci-dessus constitueraient sauf meilleurs avis de votre part des faits délictueux. De par les mécanismes utilisés : comptabilité fractionnée des chèques, usage des prête-noms, non comptabilisation dans les livres de caisse des retraits de fonds par chèque à l’ordre de nous-mêmes, production et usage de fausses factures. De par la nature même des opérations (versements de rémunérations et commissions occultes et autres) ”. Du pain béni pour le ministère public.
La liberté provisoire demandée par l’ex directeur général du Chantier naval ne lui est toujours pas accordée alors qu’il présente, selon ses proches, des garanties de représentation suffisantes. Ses domiciles de Douala et de Bamenda, ainsi que son ancien bureau ont été fouillés de fond en comble. Les résultats de l’exploitation des éléments retenus au cours de ces perquisitions ne sont pas encore connus du grand public. Et du coup, une certaine partie de l’opinion publique commence à envisager la perspective d’une cabale au sens où son interpellation et son incarcération auraient un soubassement politique. En attendant le verdict de la justice, les conseils de M. Forjindam révèlent un certain nombre d’irrégularités dans la procédure, de même que certains de ses proches se disent étonnés quant au sort réservé à cet homme qui, au-delà de ce dont il est accusé, a donné tout le “ know how ” de sa vie dans l’édification du Chantier naval et industriel du Cameroun.
Y a-t-il un complot contre Forjindam
Irrégularités et complicités
Dans un mémo adressé le 1er avril 2008 au vice-Premier ministre, ministre de la Justice, garde des sceaux, Zacchaeus Mungwe Forjindam croit déceler dans la procédure enclenchée contre lui et certains de ses collaborateurs une volonté de nuire. D’emblée, il indique que la dénonciation de Charles Kooh II est faite alors qu’une équipe du Contrôle supérieur de l’Etat est en mission au Chantier naval et industriel du Cameroun (Cnic). Cette mission spéciale est commise le 22 septembre 2006 à la demande de M. Forjindam qui contestait le rapport d’audit commandé par la Snh. Aussi, les conseils de Forjindam remarquent que la dénonciation de Charles Kooh II est faite sur le papier entête du Cabinet Coopers and Lybrand Afrique centrale. Une société inexistante puisqu’elle avait fusionnée en 1998 avec Pricewaterhouse pour donner la société Prcewaterhousecoopers France. De même, Serge Villepelet, le président de Pricewaterhousercooper a affirmé que “ le cabinet de monsieur Charles Kooh II a été expulsé du réseau Pricewaterhousecopper par ses instances internationales ”.
Quant aux rapports d’audit de la Snh, l’ex Dg du Cnic s’étonne de ce qu’il a mis en cause les comptes 2003 et 2004 dûment certifiés par le commissaire aux comptes et approuvés par les assemblées générales des actionnaires. Concernant les dépenses non justifiées, le Dg a lors du conseil d’administration du 15 juin 2007 demandé que “ le sort des dépenses dites non justifiés ne soit définitivement arrêtés qu’à la production du rapport de la mission spéciale du contrôle supérieur de l’Etat. Il estime par ailleurs que les conclusions de cette mission doivent être prises en compte avant toute imputation de ces dépenses ”. Forjindam rappelle à Charles Kooh II qu’en plus de ses fonctions de commissaire aux comptes pendant 20 ans au Cnic, il avait une mission spéciale : l’assistance à l’inventaire physique du magasin. “ Depuis 2002 à ce jour, dans cette mission qui lui permettait de vérifier les entrées et sortie magasin et qui coûtait à l’entreprise 4,4 millions Fcfa, il n’a jamais relevé une quelconque défaillance ”, soutient Forjindam.
Forjindam est par ailleurs convaincu que son remplaçant au Cnic a joué un rôle trouble dans les problèmes qui ont conduit à sa mise en détention. Il estime que Antoine Bikoro Alo’o a profité des circonstances actuelles pour rallumer une vieille rancune. Il indique qu’en 1996 lorsqu’il est confirmé directeur général du Cnic, la présidence avait demandé à la snh de proposer un directeur général adjoint. Antoine Bikoro, alors cadre à la Snh, avait postulé à cette fonction, mais l’Adg de la Snh avait refusé, “ considérant son collaborateur comme un emmerdeur ”, déclare-t-il. Un concours de circonstances va faire de Antoine Bikoro, alors directeur financier de la Snh, coordonnateur du cabinet d’audit retenu par la Shn. “ C’est lui qui conçoit les termes de référence à hypothèses orientées et erronées […] Antoine Bikoro s’était permis d’exercer une forte pression sur l’un des auditeurs du cabinet pour que ce dernier mette le plus de faits possibles à la charge du Dg ”, affirme Forjindam. En juillet 2006, l’Adg de la Snh désigne Antoine Bikoro administrateur du Cnic pour le compte de la Snh. Etant à ce poste, il impose les conclusions de l’audit du cabinet dont il coordonnait les travaux, au conseil d’administration.
A la sueur de Forjindam
Zacchaeus M. Forjindam, alors directeur du matériel et des ateliers à l’Office national des ports du Cameroun (Onpc) en 1982, monte un projet de création du chantier naval. Plusieurs membres du gouvernement sont réticents à son projet. Paul Biya, Premier ministre, lui donne son accord en août 1982. Mais il faut attendre 1984 pour que le projet soit mis en route, avec l’acquisition d’un dock flottant de 10.000 tonnes et des missions de recherche de partenaires effectuées par Forjindam. C’est finalement en février 1988 que le chantier naval voit le jour avec pour partenaire technique la société britannique Appeledore et un partenaire financier danois, Dapico. Le capital, 800 millions de Fcfa, est détenu à 30% par les partenaires Appledore et Dapico, et à 70% par les sociétés camerounaises (Onpc, Sni, Cncc, Snh et Camship). Le premier directeur général est Ragunathan, représentant Appledore. Il a pour adjoint M. Forjindam.
Au terme de la première année de fonctionnement (88/89), le Cnic enregistre des pertes de plus de 450 millions Fcfa sur un chiffre d’affaires de 500 millions Fcfa. Le partenaire technique décide de se retirer en octobre 1989. Le partenaire financier, quant à lui, vend ses actions à un actionnaire local. La Snh les rachète et devient actionnaire majoritaire. Le capital baisse de 800 à 600 millions Fcfa. En janvier 1990, Forjindam est nommé Dg par intérim. Avec lui, l’entreprise commence à faire des bénéfices.
En 1994, la Banque mondiale demande de liquider la Cnic, mais le président Paul Biya s’y oppose. Le chiffre d’affaires du Cnic passe à 9 milliards de Fcfa en juin 1996. Forjindam est confirmé au poste de directeur général. En 2003, le Cnic rachète l’Union industrielle du Cameroun (Uic) du groupe Bouygues-Saipem. Le Cnic qui est sollicité par les grands navires connaît une expansion difficile du fait du faible tirant d’eau, de l’étroitesse du chenal et de la turbidité de l’eau au Port autonome de Douala.
C’est ainsi que le projet du yard pétrolier (construction des infrastructures de réparation des navires et de la plate-forme pétrolière) de Limbe est lancé. Le coût estimatif est de 175 milliards de Fcfa (base 2001). A la fin des travaux, il aura une capacité d’environ 36.000 tonnes alors que Douala n’offre qu’une possibilité pour 10.000 tonnes seulement. La première phase de ce projet a déjà permis d’élever le “ breakland ” de 700 mètres. Il constitue le poumon du site. Le dragage du chenal portuaire est achevé. A ce jour, les travaux sont réalisés à plus de 50% et il est déjà mis en exploitation.
En 2005, le Cnic traverse une année particulièrement difficile due à la baisse de près de 50% de son chiffre d’affaires, avec pour conséquence immédiate une tension de trésorerie. C’est de là que partent tous les problèmes auxquels est confronté l’ex Dg Forjindam. L’exercice 2007 a été marqué par une perte de 1,2 milliards de Fcfa sur un chiffre d’affaires de 30 milliards de Fcfa. Au moment de la mise en détention de Forjindam le Chantier naval connaît de sérieuses difficultés dues à une trésorerie tendue.
Mathieu Nathanaël NJOG