Intrépide et jusqu’au boutiste, il est plus que jamais déterminé à contribuer à la résolution ce problème qui risque fortement d’embraser le pays. Dans le souci premier de dévoiler des éléments qui viennent éclairer cette actualité, d’un jour nouveau, il a accordé un long entretien à notre rédaction.
La Vallée du Ntem est en ébullition depuis quelques temps déjà, suite à une affaire d’expropriation «sauvage» des terres des populations autochtones de ce département, au profit d’un projet agro-industriel. Selon vous, que cache réellement ce problème ?
Merci de l’opportunité que vous m’offrez à travers ce journal pour parler de cette affaire qui hante les esprits des vallentemois, en particulier et du peuple EKANG, en général.
Je voudrais, d’entrée de jeu, préciser qu’il ne s’agit pas seulement de la société NEO INDUSTRY SA. Il y a également la société PAC SA (plantes et aquaculture du Cameroun) qui sont au centre de cette expropriation sauvage de 66.430 hectares 10 ares 20 centiares. Ce projet vise tout simplement à déposséder les MVAE et les NTOUMOU de vastes étendues de terres, au profit de certaines sociétés de droit privé qui disent vouloir développer l’agro-industrie au Cameroun. C’est du moins ce qui est présenté aux populations NTOUMOU et MVAE. Mais, à y regarder de prêt, les bénéficiaires de cette expropriation sauvage ont un agenda caché qui aura des conséquences sur le plan politique, social et même sécuritaire.
Pour le cas particulier de la société NEO INDUSTRY, on assistera à de vastes mouvements migratoires de plus de 1000 ouvriers qui viendront avec, femmes et enfants. Cette situation va fatalement bouleverser la configuration politique dans la vallée du NTEM, qui ne pourra plus avoir un député, un maire originaire de ce département, au moment où les pouvoirs publics parlent de décentralisation. Sur le plan économique, nos populations qui vivent essentiellement de l’agriculture (cacao, plantain..) ne pourront plus cultiver, ni vendre leurs produits parce que dépossédées de leurs terres de manière ostentatoirement illégale.
On parle également d’une complicité suspecte de certaines élites de votre département, dans ce projet qui cache mal des ambitions néocoloniales. Qu’en est-il exactement ?
Lors de nos investigations, nous avons appris avec désarroi qu’il y aurait une petite poignée de personnes qui, à des degrés divers ont participé, par action ou par omission, à cette fameuse expropriation en cours. Je voudrais toutefois saluer les dignes filles et fils de notre département évalués à 99% qui soutiennent le mouvement « défendons nos terres ». Par ailleurs, selon nos informations, cette affaire n’a pas que des complices dans la seule vallée du NTEM mais, dans la région du Sud. Cependant, il n’est pas encore indiqué de citer des noms, puisque le dossier est en cours. Les auteurs se reconnaîtront et les pouvoirs publics prendront la décision qu’il appartiendra. Nous sommes tous natifs d’un même département et nous voulons vivre dans la paix avec nos frères, y compris ceux qui ont pactisé, de prêt ou de loin, à cette expropriation. Toutefois, si ces personnes tapies dans l’ombre continuent avec les intimidations, nous seront obligés de nous défendre en mettant leurs noms sur la place publique.
Quelles actions avez-vous entreprises depuis que cette supercherie a été mise à nu ?
C’est au mois de juin que le pot aux roses a été découvert et les filles et fils de la vallée du NTEM se sont spontanément mobilisés comme un seul homme et, une équipe de juristes a été saisi par nos chefs traditionnels qui représentent les populations. En date du 16 juillet 2020, un recours gracieux préalable en annulation de l’arrêté n°000258/MINCAF du 03 juillet 2012 a été déposé au Ministère en charge des affaires foncières. Un deuxième recours contre le décret n°2016/3294/pm du 11 août 2016 a également été déposé à la primature. Les décisions administratives étant exécutoires, même si elles ont été attaquées en nullité, nous avons engagé une procédure devant le juge administratif, en sursis à exécution contre ces deux décisions attaquées en nullité. Nos chefs traditionnels ont déposé des demandes d’audience auprès du ministre en charge des affaires foncières et du premier ministre au mois de juillet 2020. Nous attendons toujours que cette notabilité traditionnelle soit reçue par ces autorités.
Vous mettez en avant un ensemble d’irrégularités flagrantes ayant entaché la gestion progressive de ce dossier d’expropriation. Pouvez-vous nous les rappeler ?
Effectivement, ce dossier volontairement géré de manière clandestine par les autorités administratives et les responsables de la société Néo Industry, est fondé sur un chapelet d’irrégularités qui permettent aux vallentemois de solliciter l’annulation des décisions querellées. Première irrégularité : l’arrêté du 03 juillet 2012 déclarant d’utilité publique les travaux de construction de la réserve foncière pour l’agro-industrie, les logements dans les départements de la vallée du NTEM, de la MVILA et de l’Océan est devenu caduc depuis 2015, dans la mesure où l’article 13 du décret n°87/1872 du 16 décembre 1987 portant application de la loi n° 85-09 du 04/07/1985 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique, impartit un délai de 02 ans pour procéder à l’expropriation effective. Il convient de rappeler que cette expropriation effective n’a commencé qu’en 2020 par l’implantation des bornes. Deuxième irrégularité : les textes normatifs sus-évoqués prévoient, en substance, que la commission de constat et d’évaluation présidée par le Préfet territorialement compétent, a pour mission d’évaluer les biens qui seront impactés par l’expropriation. Cette commission est restée fictive et n’a associé aucun élu local de notre département, ainsi que nos chefs traditionnels qui sont pourtant, de droit, les membres de ladite commission. Un procès verbal de constat et d’audition des chefs traditionnels permet de faire ressortir au grand jour cette supercherie qui avait été rendue possible avec la complicité de l’ancien préfet de la vallée du NTEM et les responsables de NEO INDUSTRY.
Troisième irrégularité : l’Etat a finalement obtenu des titres fonciers sur ce vaste espace qui touche nos 04 arrondissements à savoir, AMBAM, MA’AN, OLAMZE et KYE-OSSI. Sur ce fondement, le Ministre en charge des affaires foncières a commencé à signer des contrats de concession aux sociétés de droit privé, en violation de l’article 7 du décret n°76-167 du 27 avril 1976 relatif à la gestion du domaine privé de l’Etat, qui prévoit que seul le Président de la République est compétent pour signer une concession sur un espace supérieur à 50 hectares. Pourtant, en date du 27 mai 2020, le MINDCAF a signé une concession de 26.000 (vingt-six mille) hectares à la société NEO INDUSTRY, tandis que la société PAC dispose d’une superficie de 30.000 (trente milles) hectares. Bref, on assiste à une expropriation pour cause d’utilité privée, voilée sous la forme d’expropriation pour cause d’utilité publique. Il convient de rappeler que l’Etat n’a jamais investi sur cette vaste étendue qui correspond à un département.
Est-ce excessif de dire aujourd’hui que ce problème risque sérieusement d’embraser le pays tout entier ?
Effectivement ! Cette affaire risque, comme vous le dites, créer un embrasement. Aujourd’hui, c’est la vallée du NTEM qui crie à l’injustice mais, d’autres départements au sud sont concernés, notamment la MVILA, l’OCEAN. Le mois dernier, c’était les chefs supérieurs BANEN qui dénonçaient cette fameuse expropriation pour créer des réserves foncières. C’est tout de même énervant de constater que certaines personnes haut placées détournent les instructions du chef de l’Etat. Comment peut-on exproprier pour cause d’utilité publique et l’Etat n’investit pas, mais les responsables en charge des affaires foncières signent des contrats de concession aux entreprises privées ? Cette histoire de réserve foncière, à ce qu’il semble, va créer des problèmes dans tout le pays et seul le président de la République doit signer la fin de ce désordre. Si l’Etat veut investir, il est le maître de toutes les terres, qu’il le fasse dans les règles de l’art. Il ne faut pas que, sous le prétexte d’expropriation pour cause d’utilité publique, l’on vienne à signer des contrats de concession à des entreprises privées dans lesquelles certains hauts responsables sont des actionnaires.
Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour obtenir gain de cause ?
Le mouvement défendons nos terres va épuiser toutes les voies de recours devant les instances compétentes jusqu’à ce que notre Président de la République soit informé de cette affaire, pour le moins rocambolesque. Nous sommes des républicains et nous utiliserons toutes les voies légales et loyales. Pour conclure, je voudrais dire que les membres de l’état major « défendons nos terres » ainsi que nos chefs traditionnels sont victimes d’intimidation et de menaces. Nous ne cèderons pas à ces menaces et, en appelons à la très haute intervention de notre chef d’Etat que la vallée du NTEM a toujours plébiscité.
Depuis que cette affaire s’est déclenchée, êtes vous entrer en contact avec les responsable de Neo Industry ? Ont-ils pris la peine de vous donner leur position par rapport à ce problème ?
Un jeune dénommé Ondoua, très sûr de lui, est venu rencontrer notre député, Dr Mengue Germain, pour lui vanter les mérites de leur projet. On a trouvé aucun compromis. Il a essayé de faire des propositions indécentes à l’honorable député. Dommage! Ce dernier m’avait invité à cette réunion et le député lui a simplement dit qu’il ne peut pas accepter de voir le peuple souffrir.
Entretien réalisé par Dimitri Gabgho
- 03-Aug-2020 - 04h52
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