Changement : La Crtv remercie les caméramans amateurs

Par Jean-Bruno Tagne | Mutations
YAOUNDE - 16-Jan-2007 - 08h30   53837                      
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Avec l'acquisition de nouvelles caméras, ils n'ont plus de place et l'on se souvient de toutes leurs frasques.
La Cameroon radio and television (Crtv) vient de se doter de douze nouvelles cameras professionnelles. Ambroise Essono, cameraman, en parle avec un large sourire qui traduit clairement sa joie. Ces cameras ont été affectées à la direction de l'information, à la production, à la brigade des reportages spéciaux et aux programmes. Cette nouvelle dotation vient, ne serait-ce que partiellement, résoudre un déficit de cameras qui se posait à la Crtv avec acuité et handicapait le fonctionnement des émissions. Pour y faire face, la Crtv avait requis les services de caméramans amateurs. Des jeunes gens qui se pointaient chaque matin à la Crtv et se faisaient affecter pour des tâches précises dans les différentes équipes de reportage. Ils travaillaient également avec la direction des programmes où ils participaient à la production de " Bonjour ", " Tamtam week-end ", et autres " tournages ". Aujourd'hui, avec l'acquisition de nouvelles caméras, ils ont été remerciés. Dans les couloirs de la Crtv, notamment à la direction de l'information où ils ne servent plus, le souvenir de ces jeunes, volontaires pour certains, dépourvus de tout professionnalisme et cupides à l'excès pour d'autres, reste vivace. D'aucuns pensent qu'ils ont terni l'image de la Crtv. Une fois arrivés à la Crtv, c'est le chef du service des reportages qui se chargeait d'affecter les caméramans amateurs dans les équipes de reportage. A partir de cet instant, ils étaient sous la responsabilité des journalistes qui faisaient alors la triste expérience de leur manque de professionnalisme. Une journaliste de la Crtv rapporte qu'elle est allée en reportage avec un de ces jeunes gens au marché de Mfoundi. Une fois sur le terrain, elle lui demande de faire un plan d'ensemble du marché. Et le jeune homme, interloqué de demander : "Un plan quoi ? " La journaliste de la Crtv prend cette attitude pour une plaisanterie. Elle s'apercevra qu'il ne s'agissait pas d'une blague le soir sur le banc de montage. " Je pouvais piquer une crise. Il avait filmé n'importe quoi et les images étaient pratiquement inexploitables ", se souvient-elle. Selon Ambroise Essono, cameraman, les caméramans amateurs manquaient de professionnalisme et avaient des caméras inadaptées pour la télévision. "Comment quelqu'un qui n'a jamais entendu parler de valeurs de plans, ou même de mouvement de la camera peut travailler dans une télévision. Il ne peut que donner le résultat qu'on décrie aujourd'hui. En plus les images des cameras amateurs sont faites pour être utilisées à la maison et non pour être transportées par le faisceau hertzien. La qualité de l'image prend forcement un coup… " Un autre caméraman de la Crtv reconnaît cependant que les " amateurs " ont quand même aidé la Crtv, à une époque où les caméras de l'office étaient pratiquement toutes en panne. "On se retrouvait parfois le soir avec un journal de 20h30 dans lequel les amateurs ont fait 60 à 70 % des images", dit-il. Gombo Au-delà des lacunes techniques et professionnelles des caméramans amateurs, c'est leur comportement qui est décrié aujourd'hui. Ils n'étaient pas payés par la Crtv. Conséquence, ces jeunes hommes répugnaient aller faire des reportages sur les faits sociaux ou faire des enquêtes. Ils adoraient aller couvrir les séminaires et autres colloques et, une fois le travail terminé, se pointaient devant les organisateurs pour revendiquer, parfois bruyamment, le " gombo" ou le perdiem. A la Crtv, on rapporte qu'après certaines couvertures "infructueuses ", les " amateurs " confisquaient les bandes et exigeaient de se faire payer avant toute chose. Le chef du service des reportages, Tikum Mbah Azonga, est parfois intervenu pour " débloquer " ce genre de situations à quelques minutes du journal télévisé. Pour Serge Atangana Bisso, journaliste à la Crtv, ces jeunes gens avaient pris le pouvoir et faisaient le chantage aux journalistes. "C'est parfois sur le terrain qu'ils vous disent qu'il n' y a pas de bande ou que les batteries sont en panne ", rapporte-t-il. Sébastien Yakan est caméraman amateur et a servi à la Crtv pendant plusieurs mois. Il ne nie pas toutes ces accusations et explique le comportement de ses collègues par le fait qu'ils ne recevaient aucune paie de la Crtv et il fallait qu'ils trouvent un moyen comme un autre d'avoir de l'argent ou de rentabiliser leur caméra. "Soyons sérieux. Je ne viens pas là-bas pour les beaux yeux de quelqu'un. Il faut que ma caméra me fasse manger", dit-il. La Crtv a également utilisé ces jeunes sans la moindre garantie. Sébastien Yakan affirme d'ailleurs avoir perdu une caméra, confisquée par les militaires en faction à l'Ecole américaine, qui l'accusaient d'avoir filmé l'école où fréquentent les enfants du chef de l'Etat… Toutes les démarches engagées pour rentrer en possession de son bien son restées vaines. Un haut gradé de l'armée ayant opposé une fin de non recevoir… Les nouvelles caméras acquises par la Crtv sont loin de satisfaire la demande. La directrice des programmes Sally Messio affirme avoir reçu dans son service deux nouvelles caméras, ce qui, de son point de vu est insuffisant. "Prenons rien que l'émission Bonjour. Si on veut la produire dans les normes, il nous faut au moins sept caméras pour toutes les rubriques ", dit-elle. Elle ajoute que la direction des programmes va encore avoir besoin des caméramans amateurs, à condition qu'ils soient professionnels et aient le sens artistique. "S'ils nous apportent des choses intéressantes on achète. Aucune télévision dans le monde ne fonctionne sans l'apport extérieur, notamment celle des maisons de production ", explique la directrice des programmes.




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