Peuls du Cameroun: Préserver l'ethos, suivre l'air du temps

Par AA / Yaoundé / Peter Kum | AA
YAOUNDE - 04-May-2023 - 13h50   6935                      
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Peuls du Cameroun AA Images
Leur devise : « Ndouren, ndemen, ndjan'nguen » (Cultivons la terre, Élevons les animaux et Cherchons la connaissance).

Sur les 240 ethnies que compte le Cameroun, les Peuls constituent l’une des plus importantes du pays. Appelés aussi « Foulani » ou encore, « Fulbès » (selon les pays), ils sont des peuples traditionnels qui font partie du groupe ethnique le plus important en Afrique. Ils occupent une majeure partie de l’Afrique de l’Ouest. D’abord nomades, beaucoup se sont sédentarisés.

Au Cameroun, c’est dans les trois régions du Grand nord et dans la zone anglophone du pays qu’ils sont le plus concentrés. Selon le ministre camerounais de l’administration territoriale, « les Peuls sont environ 2 900 000 au Cameroun sur une population totale d’environ 24 millions d'habitants. En pourcentage de la population, les Peuls représentent donc environ 12 % au Cameroun ».


- Mode de vie


« Traditionnellement, les Peuls essentiellement musulmans, sont des éleveurs transhumants, et ils le demeurent très majoritairement, même si peu à peu un certain nombre d'entre eux se sont sédentarisés, à la fois en raison des contraintes que leur imposent les progrès de la désertification dans certaines régions, parce que leur dispersion et leur mobilité favorisent les échanges et les métissages et parce que certains gouvernements ont mis en place des programmes visant à sédentariser les nomades », a souligné la Fondation pour la Recherche Stratégique, un groupe de réflexion français indépendant, dans un travail de recherche intitulé : « Observatoire du monde arabo-musulman et du Sahel ».

Parmi les Peuls, « les Mbororos représentent un groupe resté pasteur en particulier par son attachement à la vache et à son lait, principal produit de leur élevage. Le lait est d’abord un aliment de choix très valorisé en quantité mais surtout en qualité. Il est pris à presque tous les repas des Peuls », explique Aoudou Bah, éleveur peul de l’Est du Cameroun.

Dans la vie quotidienne de ces pasteurs, le lait produit par la vache est la base de l’alimentation. Cet aliment occupe une place particulièrement importante dans la cuisine des femmes peules.

Les Peuls Mbororos ont toujours accordé la priorité à l’élevage, même quand la pression administrative, au cours de la période coloniale, a encouragé la sédentarisation et la constitution de chefferies.

« C’est aujourd’hui encore un groupe caractérisé par le pastoralisme, une vie uniquement rurale, des mariages noués presqu’exclusivement dans le groupe », estime pour sa part Dr Saibou Aba, historien à l’université de Maroua au Cameroun.

Ces nomades peuls ne sont pas des artisans. Ils passent donc des commandes à des autochtones qui les accueillent. Cependant, ils fabriquent eux-mêmes les calebasses, les chapeaux coniques et leurs tabliers de cuir.

Les Peuls qui se sont sédentarisés pratiquent, eux, un artisanat typiquement peul, mais on peut trouver dans certaines zones des fusions de styles ethniques. Les Peuls sont d'excellents tisserands. Côté vêtement, les hommes portent le chapeau conique typiquement peul et emballé par un turban. Y est souvent accrochée une plume d'autruche. Les talismans ou gris-gris sont portés pour se protéger des mauvais sorts. Les femmes portent le pagne.

« Malgré la modernisation, la société peule tente de trouver sa place au sein de la société globale. Elle intègre un nouveau système d’échanges, de nouvelles règles, tout en tentant de préserver ce qui représente son ethos culturel », relève Baba Alahdji, membre de l’association des Peuls du Cameroun.


- Rang social et code de conduite


Dans une société organisée peule, tout est question de rang social. « Au premier rang se trouve le Lamido qui est détenteur du pouvoir temporel et veille au bon fonctionnement du groupe. Il est suivi par l’Imam qui est détenteur du pouvoir spirituel et responsable de l’enseignement. Ensuite se trouve le Sarki qui est détenteur du pouvoir judiciaire et après viennent les guerriers suivis par les porteurs de tambours, ainsi de suite », détaille Hodi Alidou, sociologue à l’université de N’Gaoundéré au Cameroun.

Les Peuls se retrouvent traditionnellement autour du « Pulaaku » (ou « manière d’être peul »), « un code de conduite et d’éthique reposant sur la retenue, l’endurance, la sagesse et la bravoure », explique, pour sa part, Abdoulaye Aboubakari, chef traditionnel du Mayo Rey, région du Nord Cameroun. Le mot Pulaaku fait également référence à la communauté des personnes partageant ces éléments.

Le Pulaaku est un ensemble de comportements auxquels tous les Peuls doivent se plier. « C’est aimer l’islam, aimer l’étranger. C’est partager et faire preuve de patience. Donner une grande importance à l’éducation ainsi qu’au travail », a souligné sa majesté Abdoulaye Aboubakari.


- Une longue tradition littéraire

L’écrit en peul existe depuis plusieurs siècles (graphie arabe - ajami – et latine). L’alphabet arabe a permis de compiler une importante littérature liée à l’islam, dans les empires musulmans et Etats théocratiques peuls (XVIII-XIXe s.).

La première littérature pulaar ou peule en graphie latine est apparue dès 1966 en Egypte au Caire, grâce à un mouvement de popularisation d’une écriture pour la langue peule, initié par des intellectuels et fonctionnaires mauritaniens et sénégalais durant la décolonisation (années 60), lorsque les pays concernés choisissent d’écarter encore les langues africaines de la vie politique.
La graphie ajami (écriture arabe appliquée à une langue autre que l’arabe) est couramment utilisée dans le monde peul, notamment en littérature.

« La langue peule a une longue tradition littéraire, qui remonte à la fin du 17ème et au début du 18ème siècle. C’est en cette période que les lettrés commencèrent à transcrire leur langue en caractères arabes. Ce système d’écriture s’est répandu de nos jours dans plusieurs régions. Il faut toutefois remarquer que même si une tradition littéraire en langue peule continue d’être entretenue, la production la plus abondante de ces dernières années, surtout au niveau de la presse écrite, s’effectue en caractères latins », note Abdourahmane Diallo, professeur à l’école franco-arabe de Garoua au Cameroun.

« La littérature peule se caractérise par la diversité des formes d'expression telles que des proverbes, devinettes, contes pour la littérature orale et la poésie religieuse musulmane », souligne Diallo.

Qu’ils soient des Peuls rouges qui sont des bergers nomades païens ou bien des Peuls noirs qui sont des sédentaires musulmans, Ahmadou Bello, membre de l’association des Peuls du Cameroun conclut en disant que leur devise est « Ndouren, ndemen, ndjan'nguen » (Cultivons la terre, Élevons les animaux et Cherchons la connaissance).

 

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