Economie: La Petite histoire des hommes d’affaires camerounais

Par FRANCOIS LASIER | Aurore Plus
- 10-Sep-2004 - 08h30   81007                      
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Cherchez l'homme d'affaires au Cameroun. Aussi loin qu’on peut remonter dans l’histoire, les surprises ne manqueront pas. Les petites histoires non plus. Après la génération des premiers commerçants que l’on recrutait essentiellement parmi les Sawa qui gravitaient autour des comptoirs coloniaux, les années des indépendances vont fondamentalement changer les données...
Une incursion dans le monde des affaires au Cameroun peut s’avérer un exercice édifiant. Avec, très souvent, la possibilité de tomber de très haut... Cherchez l'homme d'affaires au Cameroun. Aussi loin qu’on peut remonter dans l’histoire, les surprises ne manqueront pas. Les petites histoires non plus. Après la génération des premiers commerçants que l’on recrutait essentiellement parmi les Sawa qui gravitaient autour des comptoirs coloniaux, les années des indépendances vont fondamentalement changer les données. Dès 1960, un seul homme d’affaire peut être classé millionnaire, c’est bien Paul Soppo Priso. A sa mort en 1997, des sources le créditent d’une fortune colossale évaluée à près de deux milliards. A l’origine de cette fortune, une histoire officielle et une légende. L’histoire officielle dit que Paul Soppo Priso a été un pionnier dans le bâtiment et qu’il était plutôt doué pour la réalisation de plans dans l’architecture. Il dessinera tellement de belles maisons qu’il en amassera une petite fortune qu’il réinvestira massivement dans l’immobilier. A force de spéculations, il comptera parmi les deux ou trois plus gros propriétaires immobiliers du pays. Avec les retours sur ces investissements au moment où les loyers rapportent gros, l’homme réussira très tôt à prendre des participations, sur des tours de tables avec des capitaines d’industrie étrangers, dans plusieurs unités industrielles de jeune pays indépendant. On retrouve, pêle-mêle, Asquini Encorad, l’entreprise de bâtiment et de travaux publics que l’on croyait être une entreprise italienne, le Complexe chimique camerounais (CCC) cédé dans des conditions troubles à la famille Fadil, etc. Quelques banques, des investissements aussi en Europe et des placements sur les places boursières. Selon la petite information, Paul Soppo Priso sera, dans les années 90, un des actionnaires de Paribas et un des patrons de la plus grosse compagnie de taxis à ... Paris. Légendes La légende dit autre chose sur les origines d’une telle fortune. Un oncle sorcier, qui aurait pris possession d’un trésor colonial sous la forme d’un sac de billets de banque. Probable, mais tout aussi difficile à prouver que les histoires des fortunes de milliardaires Bamiléké sur la route de Nyala. Du coup aussi, lorsque les légendes à dormir debout se sont effondrées comme des baudruches dégonflées, on finit par remettre en question le mythe du bon gestionnaire reconnu à certaines tribus du Cameroun. Toutes les grandes fortunes du Cameroun sont à l’image de toutes les autres. Quelques grands crimes soigneusement masqués, de magnifiques trafics en tous genres, des hold-up en règle auprès des banques locales ou sur le dos du fisc. Contrairement à Paul Soppo Priso qui se gardait d’avoir des démêlés avec les banques (On retrouvera rarement son nom en rouge sur la centrale des risques de la Béac), toutes les fortunes des hommes d’affaires camerounais ont quelque chose à voir avec des jongleries sur le dos des banques. Le meilleur coup dans le chapitre est certainement celui joué par une jeune dame d’à peine 27 ans, qui aura réussi le tour de force de barboter huit ou neuf milliards à la barbe et au nez des banquiers. Avec l’argent théoriquement emprunté aux banques, elle s’achètera tout un parc de camions, de voitures utilitaires et autres minibus Mercedes. L’affaire a fait grand bruit, la banque de la place en était rendue a négocier des échéanciers de remboursement. Les avocats vont être menés en bateau, on récupérera à peine le tiers de la dette. L’agence de voyage a fait faillite, des camions ont été cédés à des prête-noms, il n’y a plus rien à recouvrer. Mais au fait, la jeune dame que l’on dit très brillante par ailleurs (ce qui est à vérifier) n’a pas inventé la poudre à canon ou l’eau chaude. Elle s’est contentée d’imiter ses oncles et ses cousins, qui sont passés par là longtemps avant qu’elle ne soit née. Les jongleries avec les banques sont leur sport préféré. Ils y excellent. Ils profitent des réseaux d’agences des établissements bancaires de la place, et le tour est facilement joué, avec juste la complicité du chef de l’agence du village à Dschang ou à Bafoussam. L’homme ou la femme d’affaires ouvre un compte à l’agence centrale à Douala, quelques mouvements créditeurs au bout de six mois, elle gagne la confiance du directeur de crédit qui l’autorise à tirer des chèques sur l’agence du village. Il suffit de s’entendre avec le chef d’agence qui est généralement un cousin. Alors, on tire des chèques, l’argent est décaissé, mais les chèques ne sont jamais présentés dans les délais réglementaires à la compensation. L’argent a le temps de “ tourner ” et à l’arrivée, on est multimillionnaire avec l’argent de la banque. Il arrive souvent que 1’ ”homme d’affaires ” tire des chèques de un milliard sur un compte créditeur de juste trois cent millions. Mieux, le bénéficiaire oublie souvent de rembourser. L’argent est parti ailleurs, on attend la restructuration bancaire et le contribuable, l’Etat devra abouler 300 milliards pour éponger l’ardoise. N’importe quel demeuré deviendra un grand homme d’affaires s’il pouvait obtenir de telles facilités auprès d’une banque. De quoi définitivement disqualifier la légende farfelue du vendeur d’arachides qui devient milliardaire Quels que soient les taux d’actualisation et les faramineux retours sur investissements, on ne devient pas milliardaire en vingt ans avec un capital de cent mille francs ou un million de Cfa. Trafics en tous genres Le grand crime est l’allié absolu de ces hommes d’affaires qui font fortune. Sous de grandes limousines luxueuses et de vastes villas cossues se trament presque toujours de grands trafics? En tous genres? Trafics de drogue nous dit-on pour le groupe Fotso, dans les piles directeur de crédit qui l’autorise à tirer des chèques sur Hellesens ou dans l’industrie des “Nyanga grass”. La filière aurait été développée par l’homme d’affaires depuis des lustres, y compris sous couvert de haricots verts. Au point qu’un scandale aux Etats-Unis finit par éclabousser l’avion présidentiel. Du coup, les convictions sont faites. Pour survivre de trafics et prospérer dans le bizness, il faut de puissants soutiens politiques. Lorsqu’on ne peut pas trouver son créneau dans le trafic de stupéfiants, on jongle avec le fisc, ou alors, on contourne la douane. Ketchanga alias Maniac l’a compris. Il est le meilleur négociant camerounais de cigarettes importées. Dans son portefeuille, on retrouve des marques des plus inattendues. Benson, Marlboro, Business Club. La législation camerounaise en matière de droits douaniers est des plus dures. Avec seulement les droits d’accises qui taxent les cigarettes à 100 %, on ne comprend pas que le grand Maniac parvienne à vendre des cigarettes sur le marché camerounais au même prix que des producteurs locaux. Souvent, il réussit le tour de force de vendre beaucoup moins cher que ses “concurrents ”. On est parti de loin On est parti de très loin. Dès les années 60, sous Ahidjo, quelques ouvriers agricoles dynamiques arrivés de l’Ouest du pays se font de petits bas de laine et s’adonnent au petit commerce à travers le pays avec, pour seule base, des concessions terriennes que des autochtones leur abandonnent essentiellement dans le Moungo, à Nkongsamba, Njombe ou Penja. Le cacao et le café se vendent bien, les termes de l’échange ne se sont pas encore détériorés et l’économie de rente commence a produire ses nouveaux hommes riches. Ils ne sont pas assez riches pour être classés industriels, leurs économies ne le leur permettent pas encore. Le président Ahidjo décide alors de créer ex-nihilo une première classe d’hommes d’affaires camerounais. La tâche sera plutôt facile. Les Camerounais ont besoin de manger du riz et du pain qu’on ne fabrique encore qu’avec de la farine de blé importée. On signera une demi-dizaine de licences d’import-export. Ces licences assurent un monopole absolu à leurs détenteurs. Ainsi naîtront les premières grandes fortunes “ nordistes” au Cameroun.




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